Léon Degrelle (suite) : la radicalisation
En octobre 1936, Degrelle affirme que 200.000 Rexistes vont profiter des commémorations de la bataille de l’Yser pour marcher sur Bruxelles. Son modèle de prise du pouvoir semble osciller entre la marche sur Rome de Mussolini et la tactique d’Hitler. Au final, 2.000 Rexistes défilent dans les rues, une farce pathétique.

Constatant qu’il ne peut peser politiquement qu’en entrant à la chambre, Degrelle demande à un de ses députés de démissionner pour provoquer une élection anticipée. Degrelle s’imagine qu’une fois élu, il poussera le roi à dissoudre la chambre et à reproduire ainsi le coup d’Hitler avec Hindenburg en 1933. À sa grande surprise, ses adversaires politiques décident de lui opposer un seul candidat, le Premier ministre en personne, Paul van Zeeland, dont les soutiens vont des communistes au Primat de Belgique. Degrelle n’obtient que 19% des voix. Son mouvement est en perte de vitesse, son amateurisme détourne les électeurs, son autoritarisme effraie.
Au fur et à mesure que la déconfiture de Degrelle s’accélère, il se radicalise davantage. En vain : En avril 1939, aux élections législatives, Degrelle conserve son siège mais Rex n’a plus que 4 députés et à peine 4,5% des voix. Degrelle est, politiquement, un homme mort. Mais la guerre va tout changer.
Opération séduction
Car comme pour Maurras, la défaite de la France, de la Belgique et de la Hollande en mai-juin 1940 est pour Degrelle, une divine surprise. Certes, les choses commencent mal : Degrelle est arrêté par les autorités belges, puis transféré en France et manque de peu d’être fusillé à Abbeville. Degrelle fréquente de nombreuses prisons françaises et finit sa course au camp du Vernet (Ariège) où il est libéré le 24 juillet. De retour à Bruxelles le 30 juillet, Degrelle n’a plus qu’une seule idée en tête : gagner les faveurs d’Hitler et engager ce qui reste de son mouvement dans la collaboration.
Degrelle pense que ses diatribes fascistes et l’exil du gouvernement belge lui donnent du poids auprès du roi Léopold, oubliant qu’aux yeux des autorités belges et allemandes, il est perçu comme un vaniteux doublé d’un guignol. Il tente de relancer son mouvement en créant les « Formations de combat » qui regroupent, selon ses dire, 4.000 hommes et qu’il espère utiliser comme faire-valoir auprès des autorités allemandes. Las, les fonctionnaires allemands chargés de l’administration de la Belgique préfèrent s’appuyer sur des personnages moins voyants et un peu plus crédibles.
À partir de 1941, c’est la fuite en avant et un engagement toujours plus entier vers le nazisme : constatant que personne ne le prend au sérieux en Allemagne, Degrelle va toujours plus loin dans les mains tendues et les propositions de collaboration. Les Allemands le font lanterner, attendant de voir jusqu’où leur interlocuteur est prêt à promettre pour gagner leurs faveurs. Ils ne vont pas être déçus.
En janvier 1941, Degrelle termine pour la première fois un discours au cri de « Heil Hitler », sans plus de succès. Il faut attendre l’invasion de l’URSS et la proposition par Fernand Rouleau, adjoint de Degrelle, de la création d’une Légion Wallonie, sur le même modèle que la LVF française, pour que des contacts soient enfin noués. Degrelle tente de verser les membres de ses Formations de combat dans cette nouvelle légion, dont il s’attribue naturellement la paternité.
La rencontre avec Himmler
Degrelle n’a aucune intention de partir pour le Front de l’Est, comme en atteste un discours prononcé le 6 juillet 1941 où il dit regretter de n’être plus assez jeune pour partir, mais pousse les autres à y aller rapidement, de peur qu’il n’y ait plus de laurier à cueillir. Pourtant, trois semaines plus tard, il s’engage comme simple soldat dans la légion Wallonie. Il semble que Degrelle ait brandi son intention de s’engager en espérant que les Allemands le supplieraient de rester en Belgique, mais ces derniers continuent de se soucier de lui comme d’une guigne. Degrelle parvient à décider près de 900 hommes à rejoindre son bataillon. Il leur a fait miroiter un service en seconde ligne, des uniformes et un commandement belge. Aucun de ces engagements ne sera tenu.
La légion combat bientôt sur le front de l’Est et notamment contre les partisans. Degrelle participe aux actions et il sera même blessé à quelques reprises –des blessures le plus souvent légères et qui sont naturellement montées en épingle par le chef, qui ne rate jamais une occasion de se mettre en avant. Les ennuis se multiplient, les pertes grimpent en flèche, mais Degrelle fait preuve, pour une fois, d’une patience qui va s’avérer payante –pour lui-même, bien sûr.
Fin 1942, il entre en négociation avec l’entourage d’Himmler. Le IIIe Reich se souciant toujours aussi peu de lui, Degrelle veut verser ce qui reste de son unité dans la Waffen-SS, comme brevet de son nazisme. En mai 1943, c’est la première consécration : Degrelle rencontre Himmler, une rencontre dont il n’a pas manqué de fournir des détails changeants au fur et à mesure du temps et en fonction de l’auditoire mais dont il ressort, selon ses dires, qu’il a mené Himmler par le bout du nez, a obtenu tout ce qu’il désirait et a durablement impressionné le chef de la SS en lui imposant sa loi. Les archives allemandes, hélas, sont moins affirmatives : Degrelle a accepté à peu près tout en l’échange de concessions mineures.
Avec Hitler, « les fluides passent »
Il se vante d’avoir sauvé la Belgique du démembrement –il n’a pourtant obtenu aucune garantie et ce qu’il a accepté prévoit l’absorption pure et simple de la Belgique par le Reich– et les moyens qu’il conviendrait d’employer pour y arriver. Le 1er juin 1943, la Légion Wallonie devient la Brigade de Volontaires SS Wallonie. En janvier 1944, alors que la formation de ses hommes laisse fort à désirer, ils sont engagés, sur l’insistance de Degrelle, dans la bataille de Tcherkassy. Degrelle craint, en effet, que ses petits effectifs soient absorbés par une autre division de la Waffen-SS, ce qui le priverait naturellement du rôle majeur qu’il aspire toujours à jouer. Degrelle participe aux combats et paie de sa personne.

Le 20 février 1944, c’est l’heure de gloire tant attendue et que Degrelle narrera à maintes reprises. Il est reçu par Hitler en personne, qui le décore de la croix de fer et avec qui, selon Degrelle, «il discute toute une nuit ». Toujours selon lui, « les fluides passent », Hitler lui dit à quel point il « s’est fait du souci » pour lui et ils discutent tous deux de l’avenir de l’Europe et de la Belgique.
La réalité, une fois encore, est bien différente de ce que Degrelle va propager pendant cinquante ans dans ses livres et devant des auditoires acquis à sa cause : la réunion n’a pas duré une heure, il n’a jamais été en tête-à-tête avec Hitler et aucun sujet de fond n’a été abordé autre que la situation militaire. Et si tel avait été le cas, Degrelle n’y aurait sans doute rien compris : il ne parle pas un traître mot d’allemand.
Rentré à Bruxelles, Degrelle parade. Il est gonflé à bloc par son entrevue avec Hitler sur lequel il répétera après-guerre qu’il exerçait désormais sur lui une influence certaine. Si les agissements de Degrelle n’étaient pas aussi désastreux pour lui-même, pour ses compagnons et pour son pays, une telle vantardise pourrait prêter à rire.
La dernière décoration
Le 1er avril 1944, c’est le sommet de la carrière de Léon Degrelle : il assiste, juché sur un canon automoteur et en uniforme de SS, entouré de sa femme et de ses enfants, à un défilé militaire en Belgique. Détail qui en dit long sur la bouffonnerie de l’exercice : les véhicules ont été prêtés par une autre unité de la Waffen-SS, car l’unité de Degrelle est une simple brigade d’infanterie.
Au mois d’août, Degrelle est reçu pour la dernière fois par Hitler, qui lui remet une nouvelle décoration et qui, dira Degrelle, lui confie qu’il aurait « aimé avoir un fils tel que lui ». Encore une carabistouille de Degrelle : jamais Hitler n’aurait prononcé pareille parole. (Il semble que Degrelle se soit figuré qu’après la chute du Reich, la plupart des archives avaient été détruites et qu’il ne risquait guère d’être contredit, mais malheureusement pour lui, elles sont aussi bien conservées que bavardes. Et rien naturellement, aucune trace d’une telle discussion entre Hitler et Degrelle.)
Poussé par l’un de ses anciens camarades de la brigade Wallonie, Jean Vermeire, à s’expliquer sur cette soi-disant phrase du Führer, Degrelle finira par concéder : « J’ai été reçu comme un fils. ». Différence de taille…
(A suivre)