L’armée belge des partisans armés (suite XLIX)

Chasse à l’homme (suite)

Xavier Relecom, secrétaire national PCB-KPB

Le même jour, Baligand eut une entrevue avec le commandant national, entrevue au cours de laquelle il mit son chef au courant de la situation. Quelles étaient les connaissances du traître Pâquet ? Que savait-il du mouvement ? Jusqu’où avait-il pu se faufiler ? Que visait-il exactement ? Autant de questions qui exigeaient une étude approfondie car il y allait de la sécurité de tous les partisans et en particulier de Baligand reconnu par le gredin. L’affaire était sérieuse. Le commandant national décida de convoquer son état-major et fixa rendez-vous à Baligand avec l’intention de discuter des mesures à prendre.

A l’heure dite, le 9 juillet 1943, Baligand ne trouva personne sur le terrain choisi pour la rencontre. Mais dans l’éventualité d’un empêchement imprévu, un second rendez-vous avait été fixé au 13. Quatre longues journées pour y arriver. Hélas, il se retrouva seul une fois de plus à l’endroit convenu.

Désemparé, Baligand errait à travers la ville. Que s’était-il produit ? Certainement un malheur ! Ces abstentions successives présageaient de pénibles complications. Un doute affreux torturait l’âme du partisan. Parviendrait-il à reprendre contact avec ses chefs, avec ses camarades ? Pourquoi ne donnaient-ils pas signe de vie ? Tout à ses sinistres pensées, Baligand cheminait. Le hasard lui fut favorable et par ce jour maudit du 13 juillet, il poussa notre homme presque dans les bras d’un camarade auquel il ne pensait pas.
A … accueillit joyeusement Baligand mais ce dernier resta soucieux. Il confia ses soucis à A … et le pria de l’aider à renouer les fils rompus ou simplement relâchés. Il l’espérait encore. A … était toujours en relation avec les partisans de vieille date. Il promit de faire les démarches nécessaires et à tout hasard, les deux amis convinrent de se revoir dans l’après-midi sur le boulevard Militaire. Baligand reprit confiance.

Quelques heures plus tard, il arpentait la rue large et plantée d’arbres. Ses espoirs ne furent pas déçus car il vit arriver son camarade A … accompagnant Jean Roch, un pionnier de la première heure, le premier pourvoyeur dont nous avons déjà parlé.

Jean et Baligand se montrèrent heureux de cette rencontre. Mais un silence lourd coupa brusquement les effusions de deux hommes. C’est que Jean apportait une mauvaise nouvelle. La direction du Parti communiste et de l’Armée des Partisans venait d’être capturée dans une rafle monstre. Tous ces chefs bouillants de patriotisme, au nombre desquels se trouvait Xavier Relecom, un des fondateurs du mouvement, étaient tombés aux mains des Nazis.

Ecrasés, les trois hommes longeaient lentement le boulevard. De temps à autre l’un d’eux émettait une supposition ou un projet ou un espoir quand tout à coup, A … murmura d’une voix altérée : « Marchons plus vite, nous sommes suivis ».

Baligand se retourna. Effectivement cinq hommes : deux civils et trois agents de police, réglaient leur pas sur celui des partisans. Etaient-ce des limiers de la Gestapo qui avaient pisté Jean ou simplement des policiers soupçonnant le trio d’avoir commis quelque peccadille ? En tous cas, leur allure, leur façon de tenir les mains en poches en disait long sur leurs intentions Pour savoir exactement à quoi s’en tenir, Baligand prit une décision : « Traversons le boulevard et nous verrons bien … » Ils n’avaient pas mis les pieds sur la chaussée qu’un ordre retentit derrière eux : « Mains en l’air, vous trois ».

Une seconde de réflexion. Les partisans étaient capables de tenir tête aux cinq mouchards. Cependant, vu les circonstances, valait mieux éviter le combat. Un échange de clins d’œil et les trois amis filèrent à toutes jambes en direction du boulevard Saint-Michel.

Les autres ne s’attendaient sans doute pas à un départ aussi brusque et quand ils entreprirent la poursuite en ouvrant le feu, le trio avait déjà pris une légère avance. Dix pas, une distance appréciable quand les balles sifflent à vos oreilles.

Les partisans zigzaguaient afin d’empêcher les poursuivants de rectifier leur tir. Sans se concerter, ils se séparèrent. Jean disparut en suivant la ligne droite. A … et Baligand prirent la première rue à gauche. Ameutés par les détonations et les cris des agents, quelques passants se risquèrent à barrer la route aux patriotes. Braves gens qui croyiez avoir affaire à des voleurs, vous souvenez-vous de ces bousculades qui vous plaquèrent sur le pavé au moment où vous leviez la main sur les présumés coupables ?

Rue Béco, … rue Toussaint, …rue Wystman, … les mouchards sont dépistés. Encore un tournant à droite, rue Delporte. Rien en vue. Sauvés en débouchant dans l’avenue de la Couronne les deux fugitifs respirèrent mais ils ne s’attardèrent pas Au moment où ils arrivèrent en face de l’hôpital militaire occupé par les boches, ils se retournèrent une fois de plus. Damnation ! Un agent était sur leurs talons. L’entêté s’était procuré un vélo et ses collègues battaient probablement dans d’autres directions.

La poursuite recommença mais cette fois, nos amis doutèrent de leur chance. Ils allaient être rejoints quand un camion de la voirie s’amena chargé d’immondices et se dirigeant vers un quelconque déversoir. C’était le salut. Les partisans sautèrent sur les marchepieds. Au conducteur surpris de leur sans-gêne, ils eurent l’audace de demander : « Ne pourriez-vous pas accélérer. Vous nous rendriez grand service car nous sommes très pressés. »

Le chauffeur, bon enfant, acquiesça. Malheureusement des ouvriers juchés sur le chargement avaient remarqué le manège. Ils voyaient aussi l’agent cycliste pédalant à fond de train et sifflant l’ordre de stopper. Frappant au carreau de la cabine, ils attirèrent l’attention du conducteur et le renseignèrent. Déconcerté, l’homme interpella les fugitifs : « Qu’est-ce que cela veut dire ? »

Voyant que les choses prenaient Une mauvaise tournure, Baligand choisit l’ultime moyen de se tirer du guêpier. : « Ecoute, camarade, nous sommes des partisans traqués par la Gestapo. »

Confidence inutile, le chauffeur n’en crut rien. Il freina et ordonna aux deux passagers : « Descendez. Il ne s’agit pas de Gestapo mais d’un policier belge. Je ne vous connais pas et je ne veux pas encourir une contravention ».

La malchance s’acharnait sur les fugitifs et pourtant, ils n’abandonnèrent pas la lutte. Au lieu de les abattre, les coups du sort les excitaient, les révoltaient. Leur énergie farouche les emportait dans une rage indomptable. On n’aurait pas leur peau. Ils prirent aveuglément la première rue adjacente. Déjà, l’agent croyait les tenir. Il sortit son révolver et tira le premier coup en l’air en guise de sommation. Le tir n’était pas très nourri, Baligand se retourna et vit le policier en train de secouer nerveusement son arme enrayée.

En une seconde, les partisans envisagèrent le profit qu’ils pouvaient tirer de l’incident. Faisant brusquement demi-tour, ils assaillirent l’agent et pendant que Baligand lui tordait le bras et essayait de lui prendre son révolver, A … s’emparait du vélo. Le policier était doué d’une force respectable et Baligand dut renoncer à l’idée de s’approprier l’arme.

Mais A … avait enfourché le vélo, Baligand rompit la lutte, se cramponna d’une main ferme à la selle et les deux amis, l’un entraînant l’autre à la force du jarret, laissèrent le pauvre agent aux prises avec son pistolet récalcitrant. Les rares passants se gardèrent bien d’intervenir. Et puis, l’auraient-ils pu ? L’affaire s’était déroulée si rapidement.

Déjà les fugitifs avaient parcouru deux cents mètres … L’agent avait réussi à désenrayer son révolver. Il tira de nouveau mais trop tard… Baligand lâcha son camarade qui, délesté, fonça droit devant lui à toute allure. Le premier prit une rue à droite puis à gauche. Un tram ! Nul ne s’intéressa au voyageur pressé qui s’épongeait le front et regardant de biais dans la direction du chemin parcouru.

Deux arrêts plus loin, Baligand descendit. Il s’engouffra aussitôt dans une motrice desservant une autre artère. Une heure plus tard, il était en sûreté.

Il attendit plus de huit jours avant de remettre le nez dehors. L’air de la capitale était devenu malsain pour notre homme. Pâquet et son complice, les agents, les civils qui les accompagnaient, les ouvriers de la voirie, autant d’importuns auxquels il risquait de se butter en sortant prématurément … Un événement bien différent de ce drame vint tirer notre ami de son refuge, par une riante matinée d’été. Son épouse lui faisait savoir qu’une charmante petite fille lui était née et bravant tous les risques, Raoul courut à la maternité.

Le soleil inondait la ville. Dans les arbres du boulevard, les oiseaux piaillaient. La vie était belle après tout ! Passants, charretiers et vous, l’agent de planton au carrefour, et vous le boche, bayant aux étalages, connaissez-vous la joie de vivre ? l’Heureux père, le rude partisan se mit à fredonner une chanson.

Prochain chapitre : « Ceux de Louvain. »

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