L’armée belge des partisans armés (suite XXXIV)

Un enlèvement peu banal.

Le vent de l’adversité qui soufflait sur l’Armée des Partisans au cours de ce triste hiver freina, on le comprend aisément l’activité des courageux résistants Un mois ne s’était pas écoulé que déjà le sabotage reprenait avec intensité. A Charleroi, l’Etat-Major local avait été rapidement reconstitué et les nouveaux chefs s’efforçaient à se montrer dignes de leurs anciens. La flamme allumée par Thonet, Michiels et les autres n’était pas près de s’éteindre. La lutte du pauvre diable contre la brute continuait. La raison et la nécessité ont, seules, droit aux exigences ; elles seules créent le devoir. La force et l’abondance, usant de mille stratagèmes, agitent ce mot pour cacher la soumission.

Pauvres masses dans l’erreur qui confondez trop souvent ces mots : patriotisme et servitude, devoir et contrainte ; pensez aux partisans se donnant librement pour leur cause, pour notre cause à tous.

Beaucoup sont morts, rançon de cette liberté qu’ils revendiquaient non seulement pour eux-mêmes mais pour tous les hommes, nos frères. La petite histoire que voici prouvera l’altruisme de nos farouches combattants car n’est-ce pas le véritable amour du prochain que celui qui vous pousse à risquer votre vie pour un inconnu, un étranger.

 

Après avoir remis sur pied les groupes de Charleroi et du Centre, Baligand fut appelé à Bruxelles où tout ne tournait pas rond dans tous les secteurs. Le partisan carolorégien eut l’occasion de participer là-bas aux préparatifs d’une expédition qu’on qualifierait volontiers d’originale. Disons tout d’abord qu’existait à Bruxelles un groupe mobile de partisans, une poignée d’hommes triés sur le volet, prêts à toutes missions urgentes ou peuvent nécessiter un long déplacement. C’est avec ceux-là que notre ami coopéra à la réalisation d’un plan aussi audacieux qu’humain.

Aux confins du Brabant et du Limbourg, un accident de chemin de fer aux causes mal définies avait immobilisé un train de prisonniers juifs en route pour l’Allemagne. Les nazis avaient transféré les malheureux déportés dans un autre convoi sauf huit d’entre eux qui, blessés, furent hospitalisés à Tirlemont. Jusque-là, rien d’anormal mais quelques jours plus tard alors que les blessés n’étaient pas rétablis, on apprit que les Allemands avaient ordonné de les arracher à leurs lits de souffrance et de les embarquer aux camps renommés. Cela signifierait la mort sans rémission pour ces hommes affaiblis d’avance.

Mais les partisans étaient là et le 5 mai 1943, veille du jour choisi par les boches pour commettre ce nouveau crime, le groupe des P.A. fut alerté en vue de devancer l’ennemi et de libérer les prisonniers juifs le soir même. Il s’agissait d’opérer avec circonspection car selon certains renseignements fournis par le Front de l’Indépendance, un traître s’était glissé dans les rangs des patriotes. L’affaire fut donc mise au point mais ne fut pas communiquée aux hommes qu’à la dernière minute.

En premier lieu, il fallait se procurer le matériel de transport. Quelques Kollaborateurs avaient été repérés. On allait réquisitionner chez eux les autos indispensables pour mener à bien l’expédition. A l’heure fixée, une dizaine de groupes de deux ou trois hommes entrèrent en action en différents endroits de la capitale. Ils se présentèrent chez les intéressés, se firent ouvrir les portes des garages et empruntèrent sans façon les véhicules en bon ordre. En d’autres cas, ils arrêtèrent en pleine rue certains embochés de marque. Sous la menace des révolvers, on les pria de descendre et on les avertit qu’ils resteraient surveillés après le départ de leur auto. On leur enlevait ainsi toute intention de donner l’alerte immédiatement.

Une voiture de la Croix-Rouge fut emmenée en renfort. Son entrée dans la formation mérite d’être signalée. Un coup de fil commanda l’urgence en prétextant un accident grave prétendument arrivé à un carrefour assez retiré. Le chauffeur et l’infirmier qui l’accompagnait se regardèrent avec étonnement. La tranquillité régnait là ils avaient cru ne rencontrer que plaies et bosses. N’y avait-il pas erreur ? Avait-on déjà emporté les victimes ? On allait pouvoir se renseigner auprès de ces deux passants … N’entendant pas la question, les nouveaux venus montèrent sur les marche-pieds, entrouvrirent leur veston et, découvrant légèrement leu révolver, ils dirent sans élever la voix :

« Nous avons besoin de vos services. Compris ?

Compris. Montez »

Et la voiture d’ambulance brûlant la route à travers la plaine brabançonne fila vers le rendez-vous.  Tout avait été calculé soigneusement et les ordres exécutés selon l’horaire établi. Pour parer à une éventuelle trahison, l’arrivée à Tirlemont, tout d’abord fixée à 19 h, eut lieu à 18 h 30. Les religieuses et les infirmières prévenues à temps avaient préparé les vêtements et autres effets personnels des blessés. Aucune garde hostile autour de Juifs car les Allemands étaient loin d’envisager leur évasion. En quelques minutes, les malheureux furent embarqués. Leur pâleur et le tremblement qui les agitait témoignaient leur émotion dans la liberté miraculeusement retrouvée.

 Les religieuses trottinaient, faisaient de leur mieux pour assurer le confort des sortants. Contraste frappant que ces mains frêles et secourables en face des traits durcis des partisans. Une sœur et un patriote se penchèrent en même temps sur un blessé, les grains d’un chapelet rebondirent contre une mitraillette. Il y avait des hommes à sauver, des hommes de religion étrangère et tous, chrétiens ou athées volaient à leur secours. Pourquoi les hommes ne restent-ils pas unis, toujours comme en ces heures mémorables ?

A 19 heures, la première voiture reprit le chemin de la capitale. Là et dans la banlieue, des retraites sûres attendaient les évadés et tout était paré pour leur donner les meilleurs soins. Les départs se succédèrent à intervalles plus ou moins longs afin de ne pas tirer l’attention qu’une colonne serrée n’aurait pas manqué d’éveiller. De plus, les véhicules devaient emprunter des itinéraires différents. Tout marchait de façon inespérée. A 19 h 15, une seule voiture restait dans la cour de l’hôpital. Son équipage, cinq partisans résolus formaient l’arrière-garde. La dernière voiture de blessés disparut au tournant. Le conducteur de l’auto protectrice lâcha doucement la pédale d’embrayage. C’était fini, mission terminée. On rentrait

Oh ! Un essaim d’uniformes gris, là, au milieu de la route. Avertis trop tard, les boches avaient manqué le convoi mais ils en isolaient la dernière voiture. Gesticulant et hurlant des ordres incompris, ils barraient la route.

A bord de l’auto, on se concertait :

« Ralentis légèrement.
Baissez -vous le plus possible, qu’ils ne voient que le chauffeur
Vos mitraillettes sont prêtes ?
Attention, on y va ! »

Un vrombissement déchaîné, un crépitement des crécelles meurtrières et l’auto fonça au travers de la masse grouillante de feldgraü. Ce fut affreux. Dans un charivari d’hommes hurlant de douleur et de rage, d’os broyés ou d’armes brisées, de casques rebondissant sur la chaussée, l’auto passa.

Douze Allemands : sept tués et cinq blessés restaient étendus sur la route dans un sillage sanglant. Les autres s’étaient ressaisis et faisaient feu de toutes leurs armes sur l’auto zigzaguant dans une course effrénée. Pas un partisan ne fut atteint mais le réservoir criblé de balles et les pneus crevés obligèrent les vainqueurs à ralentir l’allure. Ils roulèrent cahin-caha sur une distance de deux kilomètres environ. Les boches étaient hors de vue, nos hommes abandonnèrent la voiture au bord du fossé, s’élancèrent à travers champs puis gagnèrent le bois le plus proche en direction de Bierbeeck.

Quand ils atteignirent la forêt de Merdael la nuit tombée, les braves partisans composant l’arrière-garde étaient sauvés mais pas au bout de leur peine. Il leur fallut marcher toute la nuit, éviter les villages et les routes fréquentées pour rejoindre la capitale où les blessés et leurs libérateurs se trouvaient en sécurité depuis longtemps.

Et dire que des gens tremblaient à l’idée d’accueillir un réfractaire ou même d’écouter les émissions de la B.B.C., le soir dans une chambre bien close et bien chauffée

A suivre : « Contacts avec les partisans liégeois ».

Laisser un commentaire