L’armée belge des partisans armés (suite XXXIII)

Une nuit d’horreur.

Après Baligand, Michiels assuma le commandement des partisans du Centre puis vint le tour du commandant Labruyère. C’est de cette époque (hiver 1942-1943) que date l’une des plus tragiques aventures vécues par les partisans armés.

Le commandant national avait ordonné la destruction d’une sous-station électrique à Solre-sur-Sambre, sous-station qui alimentait quelques industries lourdes de la région.

Le commandant Labruyère, chargé de la mission réussit à faire passer ses hommes à travers le réseau de gardes rôdant dans les parages. Fracturer la porte et se faufiler entre les appareils, cela ne fut qu’un jeu pour les partisans. Tout était prévu, calculé sauf l’intervention néfaste du destin aveugle. Au moment où le commandant Labruyère se baissait pour placer la charge explosive, il toucha de l’oreille un fil dénudé et tomba foudroyé. Cela se passa si rapidement que nul ne put réaliser sur le champ, rigueur de la fatalité. Un homme était là, étendu, mort et le fil toujours en place, inerte, insensible, matière aveugle et meurtrière, tendue comme une menace entre le cadavre et les vivants.

L’adjoint réagit le premier. On essaya de réanimer le malheureux commandant mais que pouvait faire la respiration forcée ou tout autre artifice sur un corps atteint jusque dans ses moindres cellules par le courant foudroyant. Après de longs et vains efforts, l’adjoint prit le commandement.

« Eclairez-moi bien ». Il se baissa calmement avec le maximum d’attention entre les câbles sournois. Ses mains ne tremblaient pas lorsqu’il déposa l’explosif au bon endroit. Il tira doucement sur la mèche comme pour s’assurer de la perfection du travail puis il se releva. Tous les partisans gardaient les yeux baissés, regardant alternativement le mort et la bombe. Que devaient-ils faire ? Emporter le malheureux ? Il ne fallait pas y songer. L’abandonner ? C’était laisser aux boches un premier indice. Les regards des partisans allaient alternativement du cadavre à la bombe. Il fallait coûte que coûte plonger dans le mystère cette opération malheureuse. Les yeux s’interrogeaient. Sans une parole, les têtes firent « oui », lentement comme à regret. Deux hommes soulevèrent le corps de leur chef et, en tremblant, cette fois le déposèrent doucement sur la … Oh !  L’affreuse chose. On alluma la mèche et partit. Une fois dehors, ces hommes aguerris, rompus à tous les coups durs abandonnèrent toute retenue.

Avez-vous déjà vu un homme pleurer ? Et dix hommes ? Dix hommes sanglotant désespérément, laissant derrière eux leur chef bien-aimé pour qui n’importe lequel se serait offert.

Une femme attendait le commandant Labruyère et dix autres femmes, mères ou épouses attendaient les rescapés. Dix femmes allaient bientôt soupirer, enfin rassurées. Une autre allait sombrer dans le deuil affreux.

Les hommes marchaient voûtés, écrasés. L’explosion qui retentit loin déjà derrière eux leur poignarda le cœur mais en même temps réapparaissait la dure réalité. C’était la guerre, la guerre qu’ils n’avaient pas voulue et qu’ils devaient mener jusqu’au bout, fût-ce au prix d’un bain d’horreur !

Prochain épisode : « Un enlèvement peu banal »

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