Rappel : une importante rafle des nazis allait déporter de nombreux partisans armés de Charleroi et du Centre
Le 1 er avril 1943, on nous évacua de Breendonck. C’était pour nous ramener à Saint-Gilles. Nous étions toujours au complet soit une quarantaine de partisans capturés dans la région de Charleroi et dans le Centre. On nous entassa dans un grand baraquement érigé au milieu de la cour de l’immense prison. Mais cette salle n’était que provisoire, les boches ne nous y laissèrent qu’une nuit. Nous l’avons bien regretté car une tentative d’évasion se tramait déjà.
Je dois vous dire que Thonet en était l’instigateur. Oui, Thonet qui, en arrivant eu rendez-vous de Marchienne, le 23 décembre 42 avait assisté de loin à l’arrestation de Decelles et à ma triste aventure. Lui-même avait été surpris le même jour, à 1 h de l’après-midi, en son domicile illégal à Fontaine-l’Evêque.
Dans l’impossibilité de le prendre vif, les Boches l’avaient abattu d’une balle dans la nuque. Le projectile était ressorti par la bouche sans toucher un os, sans briser une dent. Et notre chef, remis sur pied huit jours plus tard avait suivi le même chemin que tous les camarades : Charleroi – Saint-Gilles – Breendonck pour revenir à Saint-Gilles. Après une nuit passée dans le baraquement, nous fûmes donc enfermés par groupes de quatre dans une même rangée de cellules. On nous appelait « les pelés » à cause de nos cheveux coupés ras. Les boches y voyaient l’indice de dangereux terroristes et les autres détenus y puisaient un sentiment de pitié. Pour les uns, nous étions l’ennemi numéro 1. Pour les autres, nous étions les réprouvés.
Une nuit, nous fûmes tenus en haleine par un va-et-vient inaccoutumé. Des cris, des pas pressés, des ordres brefs, des claquements de portes. Qu’est-ce que cela voulait dire ? Comble de l’étonnement, la porte de notre cellule s’ouvrit, livrant passage quatre soldats allemands qui, sans préalable, se mirent à nous frapper à coups de crosses et de cravaches. Nous ne connaissions pas le motif de cette brutalité, nous souvenant de l’expérience de Breendonck, nous subîmes sans révolte ce nouveau supplice. A la fin, les boches se retirèrent, nous laissant pantelants, hébétés, meurtris, brisés de fatigue, de souffrance, de détresse. Le lendemain matin, on nous introduisit tour à tour dans le bureau du commandant où devait avoir lieu notre interrogatoire. On sait ce que cela veut dire …
Dans le couloir, nous croisâmes Franz Michiels* qui sortait de l’épreuve, la figure ensanglantée, les yeux tuméfiés, méconnaissable. Nous apprîmes bientôt ce qui avait déclenché cette explosion de rage. Michiels, Thonet, Maufort et Geenen avaient attiré le gardien allemand dans la cellule, l’avaient étranglé puis avaient ouvert les portes de nombreuses cellules. Hélas, comme vous le savez, la tentative d’évasion générale devait échouer. Michiels connaissant la langue allemande était spécialement visé par les boches à la recherche d’un détail sur l’affaire et sur d’éventuelles complicités. Le malheureux supporta le poids le plus lourd des représailles et pourtant, il tint bon comme ses camarades.
Pour nous qui étions demeurés étrangers à cette entreprise, l’affaire se simplifiait. On pouvait nous battre, nous torturer à loisir, face contre le mur, nous ne courrions pas le risque de dévoiler quelque chose car nous ne savions rien. Devant ce qu’ils croyaient un entêtement de notre part, les nazis ne ménagèrent pas leurs procédés. Quelques jours plus tard, le 12 avril pour être exact, au cours de la promenade, nous apprîmes que nos quatre camarades avaient été condamnés à mort par le tribunal militaire.
Je ferme les yeux et je les revois tous les quatre : Maufort …Thonet … Geenen … Michiels … de braves typas. On les a fusillés le 20 avril au Tir national
Le 89 mai, nous fûmes tous embarqués pour l’Allemagne. Toute ma vie, je me souviendrai de ce voyage. La dernière vision d’une gare familière, le défilé de nos paysages et ces gens aperçus tout le long des vies, des gens de chez nous qui en savaient pas …

Nous échouâmes à Bochum où nous ne restâmes que 20 jours. De là, nous partîmes pour le camp d’Esterwegen où l’on nous dispersa par groupes de deux ou trois hommes dans d’immenses baraques abritant chacune une centaine de forçats.
Après neuf mois de séjour dans ce camp, nous fûmes séparés et expédiés vers des bagnes différents. Je fus transféré à Bayreuth puis à Kaischem où j’eus la joie de retrouver quelques camarades parmi lesquels Druine, Frans Bouykens, Henri De Lannoy, François Verbeeck, Maurice Brichaut, Sylvain Baligand, oncle de Raoul et Marnette.
Le 18 septembre 1944, nous savions que la Belgique était libérée et nous pensions que l’avance foudroyante des alliés ne se ralentirait pas. Nous estimions, en de longues et fiévreuses discussions, le temps que mettraient les armées libératrices pour atteindre notre camp.
Hélas, ce fut à ce moment-là qu’on nous remit l’acte d’accusation selon lequel nous allions comparaître devant le tribunal militaire. Les boches paraissaient vouloir régulariser notre procès, donner un semblant de justice à la comédie qui se préparait car il n’y avait aucun doute sur la sentence : la mort. Et pour nous annoncer cela, les salauds choisissaient le jour où nous envisagions la fin de la guerre. Le 21 septembre, nouveau coup de théâtre, on nous reprit nos papiers, notre procès était ajourné. Cette chance était due au fait que Hitler venait de décréter la guerre totale. Tous les hommes du Reich devaient se consacrer exclusivement aux besoins du front.
Nous avions échappé pendant presque deux ans à ce fameux procès à cause de nos déplacements répétés. A peine étions-nous installés quelque part dans tous les coins d’Europe et les dossiers qui nous concernaient devaient nous suivre dans ce brassage immense où l’organisation allemande était mise en défaut par sa barbarie. Nous bénéficiâmes d’un nouveau sursis mais les boches ne comptaient-ils pas nous exterminer sans l’emploi des armes ?
A suivre.