
Le désastre
Le lendemain, Baligand apprit avec joie que Thonet n’était pas mort. On avait transporté le blessé à l’infirmerie de la prison de Charleroi, et tous ses camarades, entassés dans les cellules voisines, attendaient qu’il soit statué sur leur sort. Les perspectives n’en étaient guère rassurantes. Ah ! Si on pouvait attaquer la prison par surprise ! Pourquoi pas, après tout ? Les gardiens n’y étaient pas si nombreux … On ferait appel à quelques groupes de Partisans
D’autres régions car, de même que pour l’affaire Tinclair, déjà très ancienne, il fallait bien admettre la présence d’une brebis galeuse … Baligand s’en ouvrit à Louis. Ce dernier changea de figure, ses traits se creusèrent quand il eut connaissance du soupçon qui hantait son chef. Le troisième jour, des bruits colportés par le personnel civil de la prison apprirent à Baligand que la surveillance y était renforcée et que les prisonniers avaient été transférés à Saint-Gilles, parce que les Allemands avaient eu vent d’un projet d’attaque contre l’établissement.
Cette fois, la preuve en était faite : un traître tenait les Allemands au courant de tout ce qui se passait chez les P.A. Mais qui donc ? Atterré, Baligand reprit son enquête avec ténacité. Il arriverait bien à démasquer le bandit. Il le fallait, d’ailleurs, car les arrestations se poursuivaient à un rythme implacable
Un soir, une lettre fut remise au Partisan ; une lettre interceptée par le facteur patriote, et qu’un individu de Wanfercée-Baulet adressait à la Gestapo. Le message contenait en substance : – « Je vous ai livré Pâquet, et cela vous a donné la possibilité de mettre la main sur toute l’organisation terroriste du Pays de Charleroi… ». Un frisson glaça Baligand. Enfin ! Il tenait le traître, l’homme qui avait vendu les Partisans, l’infâme, la bête immonde que rien ne peut qualifier ! Mais le chef eut peine à se remettre du choc, car il venait de découvrir l’effroyable vérité : Pâquet, c’était Louis ! Ainsi, ce nom cachait le plus vil des espions ! Ah ! Les Allemands étaient bien renseignés, car nul ne connaissait mieux que Louis l’activité du mouvement.
On devait apprendre plus tard que Pâquet, dès avant la guerre, mouchardait ses camarades pour le compte de la gendarmerie. Lorsqu’il fut arrêté, le 21 décembre, il se déclara auxiliaire de la Sûreté et fit appel au témoignage d’un officier de gendarmerie appelé Lesire. À la libération, Lesire fut emprisonné. Quelques jours plus tard, on le découvrit pendu dans sa cellule. Lesire confirma la parole de Pâquet arrêté. N’avait-il pas conseillé au traître de s’enrôler parmi les Partisans afin de contrôler leurs faits et gestes ?

Thonet, malgré les instances de tous ses camarades, avait décidé de prendre sur lui l’entière responsabilité des faits reprochés aux Partisans. C’est dans ces conditions que les patriotes furent ramenés à Saint-Gilles. Peut-on appeler instruction ou interrogatoire, les scènes de barbarie, préludes au procès dont l’issue ne laissait aucun doute ?
Les Allemands pensaient-ils avoir raison de la résistance de tous ces héros ? Les malheureux, affamés, le corps strié de coups de cravaches, les ongles arrachés, les dents brisées, allaient-ils enfin se résigner et parler ? Les hommes étaient enfermés à raison de quatre par cellule, le long du couloir immense qu’un gardien allemand surveillait jour et nuit. La dernière cellule, à gauche, était occupée par Thonet, Michiels, Maufort et Geenen.
Les prisonniers s’encourageaient mutuellement en correspondant d’une cellule à l’autre au moyen de procédés ingénieux que connaissent bien tous ceux qui ont séjourné dans les bagnes hitlériens. C’est ainsi que Thonet fit passer à tous ses camarades l’idée qui venait de germer dans son esprit rebelle : l’évasion en masse ! Projet insensé ? On pouvait toujours essayer…
L’un des quatre audacieux, on ne saura jamais lequel, se coucha et se mit à gémir en simulant une douleur insupportable. Le Boche, intrigué par ces plaintes qui n’étaient pas dans les habitudes des Partisans, ouvrit le judas de la porte. Il vit trois hommes empressés autour du quatrième qui se tordait… Un geôlier reste insensible à la souffrance d’un prisonnier. Mais celui-là, poussé par la curiosité, ou par le diable, ouvrit la porte. Peut-on imaginer pareille naïveté, même au cœur du plus charitable des hommes ? L’Allemand n’avait pas fait deux pas dans la cellule qu’il était happé par six mains décharnées mais vengeresses…
S’emparant du trousseau de clefs, les quatre Partisans laissèrent derrière eux le cadavre et se hâtèrent d’ouvrir toutes les cellules voisines. Une ivresse indéfinissable illuminait les visages émaciés de ces hommes qui se pressaient dans le couloir. Un vent de liberté les faisait frissonner … Les voilà, tous près de la porte principale de la prison… Malédiction ! Ils n’avaient pas la clef ! Que faire, sinon fracturer la serrure ? Les malheureux s’acharnaient, redoublaient d’efforts. En vain !
Et comme il fallait s’y attendre, les Allemands, attirés par le bruit, accoururent de partout. De leur masse grise, hérissée de mitraillettes, des ordres jaillirent ! Et les pauvres évadés, pitoyable troupeau, firent demi-tour et réintégrèrent leurs cellules respectives. Derrière eux, les verrous se refermèrent plus violemment que jamais. Oh ! Ce bruit sec du fer contre le fer, ce choc qui se répercute dans les cœurs, l’instant qui suit une minute de liberté relative ! Et puis, dans la dernière cellule, les Allemands allaient découvrir l’un des leurs, étranglé ; et tout au fond, contre le mur, quatre hommes pâles mais droits, prêts pour la dernière torture, prêts pour la mort … !
Le mercredi 20 avril 1943, au petit jour, finirent leurs souffrances … Au tir National … Victor Thonet et Raymond Geenen ; Emile Maufort et Franz Michiels, deux à deux dans leurs froides cellules, que nous ont-ils confié, au cours de leur dernière nuit ? Et nous, saurons-nous conserver leur héritage… ?

A suivre avec le prochain épisode : « Méthodes nazies »