Le justicier
On parle d’un Caïn dans une vieille histoire faisant le procès de la perfidie. La triste célébrité du fratricide pâlit devant la réputation des rexistes de cette guerre. Le monde entier sait avec quel raffinement, ils exercèrent la dénonciation, le meurtre et la torture de leurs frères. Mieux vaut ne pas s’étendre sur leur vilenie et pourtant l’indignation qui souleva les honnêtes gens commence à faire place à la plus incompréhensible indulgence et la sensiblerie est un signe de faiblesse.
Nul d’entre nous ne demande l’égorgement des traîtres, nul n’aspire au bain de sang. La preuve en est dans l’attitude de tous les résistants et en particulier des partisans au jour de la Libération. Ce jour-là, on vit sortir de l’ombre ces hommes armés, les « terroristes » endurcis par quatre années de luttes et de souffrances. On les vit faisant l’appel de leurs morts et de leurs internés dans les camps infernaux. Leurs yeux de bêtes traquées flamboyaient dans la liberté reconquise.
L’occasion était belle de frapper inexorablement ceux-là qui se terraient, tremblants de peur, de leurs crimes, de leurs lâchetés. Eh bien, il n’en fut rien. Confiant en la justice, on se contenta d’arrêter les coupables et d’attendre loyalement leur jugement, confiants en la justice.
En juillet 1942, le nommé Demaret, bourgmestre usurpateur de Ransart se distinguaient en première place dans la bande éhontée. Les partisans qui suivaient de près les agissements du traître, apprirent qu’il élaborait une liste de patriotes choisis pour servir de pâture à l’ennemi exaspéré par ses échecs répétés. Il était temps d’agir. Réunis en conseil, les partisans étudièrent les derniers rapports et sûrs de leur droit et de leur devoir, ils prononcèrent la condamnation à mort de Demaret. Ils espéraient ainsi obtenir plus d’un résultat appréciable : tout d’abord, la disparition d’un être malfaisant et ensuite, créer un courant salutaire chez tous les candidats à la trahison.
Autre chose était d’exécuter la sanction. Le traître conscient de l’ignominie de ses actes, s’entourait d’une troupe de mercenaires sans scrupules. On ne le rencontrait jamais sans qu’il fut flanqué de ses gardes et maintes tentatives de l’approcher furent déjouées parce que trop périlleuses et offrant peu de chances de réussir. Une seule chose à faire : avoir recours à la ruse et atteindre le rexiste par surprise. Rendez-vous fut fixé, un beau matin, dans le bois de Soleilmont à proximité de Ransart. Cinq hommes y étaient convoqués. L’un d’eux apportait un uniforme de gendarme acquis chez un costumier. N’eut été le caractère tragique de la réunion, l’essayage de ces effets dans une clairière aurait prêté à rire. Il se fit que la taille de M … était celle qui répondait le mieux à la coupe d l’uniforme. Le hasard, forcé de façon inédite venait de désigner le justicier …
Sans plus tarder, l’équipe enfourcha les vélos et fila en direction de Ransart. En tête, deux partisans en civil, puis M … très digne dans ses fonctions occasionnelles. Plus en arrière, les deux autres camarades. Au moment où M … parvient à la hauteur de la maison du bourgmestre, tout le monde mit pied à terre. Le pseudo gendarme semblait isolé mais ses amis assuraient une protection infaillible.
Avec assurance, M … appuya son vélo contre le mur de l’habitation, s’approcha de la porte et sonna impérativement. Une servante bien stylée, se conformant au mot d’ordre de son maître, souleva un coin du rideau afin de se renseigner sur les apparences du visiteur. Croyant avoir affaire à un gendarme, elle ouvrit en toute confiance.
« Monsieur Demaret ?
Il s’apprête à sortir.
Dites-lui que je dois le voir immédiatement : un message très important à lui remettre. Attendez. »
La servante disparut. Elle allait s’enquérir auprès du patron. Pour tromper l’attente, le faux gendarme s’épongeait le front et essuyait le cuir de son képi. La femme revint, empressée.
« Entrez, Monsieur va descendre » Et elle introduisit le faux policier dans le bureau de l’emboché. M … était dans la place.
Il n’eut pas le temps d’en étudier tout le décor. Déjà, le bourgmestre faisait son entrée. Il ne dissimulait pas son énervement. La contrariété qui le hantait et c’est sans préambule qu’il jeta au visiteur : « Dépêchez-vous, je suis pressé. »
Sans s’émouvoir, M … sortit son révolver. « Cela ira très vite, monsieur le bourgmestre ». Trois claquements secs. L’odeur de la poudre et le traître, frappé à mort s’écroula. Tranquillement, le justicier rempocha son pistolet et sortit sans se presser puis enfourchant son vélo, il s’en est allé se laver les mains.
A suivre : « Chaude alerte ».
