Résumé : Nos partisans vont entrer dans la salle des machines du charbonnage du Bois du Cazier de Marcinelle

V… et R…, à la tête du gros de leur troupe, se dirigèrent vers la salle des machines. Le machiniste s’y trouvait seul, et il se soumit de bonne grâce dès la première sommation. On le rassura en lui exposant en termes brefs et précis les conditions auxquelles il avait à souscrire : « Actionner la machine pour la manœuvre de la cage, ou bien subir un ligotage en règle ». L’homme se rangea pour la première alternative.
V…, M… et F… s’engouffrèrent dans la cage, puis R… donna au machiniste l’ordre de les descendre à l’étage de 220 mètres. L’ouvrier avait repris son sang-froid. La manœuvre s’accomplit sans encombre et après deux minutes, les trois mineurs improvisés sentirent l’appareil s’immobiliser au terme de leur voyage. Enfin ! ils touchaient au but.
Surgissant de la cage, ils contrôlèrent immédiatement toute la partie de la galerie maîtresse aboutissant au puits d’extraction. Quelques ouvriers s’y trouvaient occupés à des travaux de consolidation. A la vue de ces hommes masqués, révolver au poing, et marchant droit sur eux, les mineurs comprirent qu’une chose grave se passait à la surface.
Un bref colloque s’engagea : « Nous venons simplement chercher la dynamite. »
« Vous tombez bien, dit un homme avec empressement, on nous en a apporté trois cents kilos samedi soir. »
« C’est justement pourquoi nous sommes venus. Montrez-nous la marchandise ! »
Les braves garçons firent mieux que de désigner la porte de la chambre aux poudres ; ils contribuèrent ardemment au transport des caisses et les rangèrent symétriquement dans la cage. Le compte y était : trois cents kilos et, en plus, deux mille détonateurs.
V… fit fonctionner le signal de montée et l’ascension commença. Ainsi donc, les explosifs remontaient vers le jour ! Les Allemands en avaient ordonné l’emmagasinement dans les houillères parce qu’ils redoutaient l’action des patriotes contre les dépôts établis à la surface. L’ennemi comptait sans l’audace et la volonté de nos gens. Encore quelques enroulements de câble, là-haut, et la précieuse dynamite serait bien aux mains des Partisans.
R… et ses hommes attendaient, avec l’anxiété que l’on devine le retour de leurs camarades. Le temps passé au fond permettait d’espérer un heureux résultat, mais sait-on jamais ?… Tous ne purent cacher une impatience fébrile. Mais quand V…, d’un geste large, désigna le butin, tous vibrèrent d’un même frisson de joie, de fierté, de force indomptable. Ils se sentaient invincibles, parce qu’ils le voudraient, comme ils avaient voulu, ce jour-là, forcer l’abîme et la garde des hommes.
Sans s’arrêter à de si réconfortantes considérations, les Partisans commencèrent l’évacuation des explosifs. Le machiniste fut placé en compagnie des autres prisonniers toujours sous bonne garde dans la chaufferie. Ensuite, et pour clôturer l’expédition, R… si mit en devoir de miner les machines d’extraction. Les dix hommes disponibles s’attelèrent au transport des caisses. Besogne harassante s’il en fut ! Traverser la route, franchir le mur du cimetière, se passer les charges, et les dissimuler dans les caveaux ! Malgré la nuit froide, les hommes étaient en nage.
Sur le chantier, on s’évertuait à jeter le trouble et la contradiction dans l’esprit des ouvriers. V… donnait ses ordres en désignant telle ou telle caisse : « Celle-ci dans le camion n°1, celle-là dans le camion n°2. » Les saboteurs comprenaient clairement qu’il s’agissait des deux caveaux repérés d’avance. Mais pour les mineurs qui ne voyaient pas ce qui se passait sur la route, la question était différente. De plus, quatre hommes parlant couramment l’espagnol s’exprimaient dans cette langue, ce qui inculqua aux prisonniers la conviction que des étrangers participaient à l’opération.

Cependant, R… venait de terminer le dynamitage des machines et, tandis que ses camarades évacuaient les dernières caissettes, il se rendit auprès des mineurs réunis dans la chaufferie. En un langage ferme, bienveillant et persuasif à la fois, il leur adressa ce conseil : « Que personne ne bouge ! La machinerie va sauter. Vous êtes ici en sécurité, mais je ne réponds de rien si vous mettez le nez dehors ! »
Puis, R… invita V… et les autres saboteurs à quitter les lieux, cependant que lui-même remontait à la salle des machines. Une flamme jaillit d’un briquet, … s’approcha de la mèche d’amadou rampant sur les carreaux. A peine le contact d’était-il produit que notre ami réalisa l’imminence du danger. Il avait bien pris ses dispositions pour s’assurer un délai de vingt minutes, mais la mèche ayant traîné dans une flaque d’huile s’en était imbibée, et le feu se déplaçait avec une rapidité inquiétante. Une seconde de retard pouvait être fatale. Le Partisans s’élança, dégringola l’escalier. Il en atteignait le bas quand un souffle puissant le plaqua sur le sol. Les charges venaient d’exploser là-haut ! Par miracle, le saboteur était indemne. Il s’éclipsa rapidement ; derrière lui, le feu s’était déclaré autour des machines démantibulées ; Bientôt les flammes se propagèrent et l’incendie dévora toute la salle des machines. Les ouvriers du fond en seraient quittes à remonter par les sorties de secours.
Mais R… avait rejoint ses camarades qui l’attendaient anxieusement par suite de la précocité de l’explosion. Les caisses étaient bien rangées dans leurs abris peu accueillants. On referma soigneusement les portes massives et on s’efforça de faire disparaître les traces suspectes. Ensuite, les saboteurs se partagèrent le contenu d’une caisse à emporter le jour même. Certains se chargèrent de cinq ou six kilos de cartouches. Les plus vigoureux en prirent le double.
Quand les Partisans, un à un, se glissèrent hors du cimetière, le jour pointait timidement et les corons s’animaient peu à peu. Quelques ouvriers, mal éveillés, tête basse, et les mains dans les poches, la besace leur battant mélancoliquement les flancs, suivaient la route sale et poudreuse. Deux femmes coiffées de fichus et chaussée de sabots se hâtaient vers le Charbonnage où elles allaient procéder au nettoyage des bureaux.
A suivre