L’armée belge des Partisans (suite VI)

Victor Thonet. Photo du CarCob.

Rappel de notre dernier épisode.

Rongeant son frein, Baligand attendait, retournait la question sur toutes ses faces, bouillant de continuer l’oeuvre entreprise et de venger les camarades tombés aux mains de l’ennemi. C’est alors que le P.C. le convoque à Montigny-le-Tilleul.

Qui aurait cru, à cette époque, que la si charmante petite commune cachait le nid de ceux-là que les Boches allaient affubler du nom pompeux de terroristes ? La nuit enveloppait les coteaux grisonnant sous le souffle d’automne, les feuilles tombaient dans un léger bruissement, une odeur de bois brûlé s’échappait de la cheminée d’une petite maison blanche… Tout était calme, le village s’endormait paisiblement… Et pourtant, des hommes complotaient. Ils n’avaient pas oublié que le pays était en guerre, et ils n’avaient pas le loisir de s’abandonner à la douceur du foyer. Un nouveau venu assistait au rendez-vous. Les présentations s’engagèrent :

–           Raoul Baligand.

–           Victor Thonet.

Les deux hommes se toisèrent. Du premier coup d’oeil ils se jugèrent mutuellement. Une franche poignée de mains scella leurs impressions.

Victor Thonet avait déjà son histoire. Huy l’avait vu à la tête d’une équipe de saboteurs à l’image de celles qui surgissaient un peu partout. Un beau soir, le patriote s’en retournait chez lui, porteur d’un fardeau suspect. Suspect bien sûr, car deux gendarmes belges arrêtèrent l’homme. Déballage du paquet… Pandore le fouilla… y fit une découverte : du matériel appartenant aux Chemins de fer et particulièrement deux énormes clefs destinées à fixer les rails. L’affaire de Thonet était claire. Du matériel de l’État ! De l’État pour lequel on peut se faire casser la figure mais dont la moindre ferraille est sacrée !

Heureusement, les Partisans ont, du patriotisme, une conception qui dépasse ces mesquineries et l’entendement des Messieurs bigots et routiniers, attachés à leur siège parce qu’on les y a attachés, et connaissant par coeur le règlement parce qu’ils l’avaient appris comme moyen de gagner une belle place aux examens.

Pris comme voleur, Thonet fut bel et bien emprisonné à Namur. Et pourtant, que l’on réfléchisse au produit du larcin. Quelle valeur marchande pouvait-on lui donner ? À quoi auraient pu servir ces énormes clefs, sinon à déboulonner les rails ? Quel particulier, quel petit artisan a jamais eu besoin d’outils de cette dimension ? Cela prouve bien les intentions de Thonet emportant ces instruments.

Un homme de la trempe de notre Partisan aurait pu se débarrasser aisément des gendarmes ou leur brûler la politesse. Mais il n’était ni un assassin, ni un lâche. Croyant avoir affaire à des Belges et confiant en son droit, il préféra s’expliquer franchement ; ce qui, pensait-il, éviterait d’inutiles et dangereuses enquêtes.

Mais la loi c’est la loi, et le juge d’instruction tenta de s’en excuser auprès de Thonet. En fin de compte, il fut décidé que le patriote serait jugé pour vol, par des Belges et selon les lois belges. Chose déjà inadmissible, vu le caractère du délit, mais le magistrat voulait sans doute couvrir sa responsabilité.

Qui informa la Gestapo de l’arrestation de Thonet ? Un matin, on lui livra le patriote, pieds et poings liés. Les feldgendarmes le transférèrent à la prison de Liège. Il quittait l’atmosphère de couardise pour tomber dans la géhenne.

À la suite de quelle délation, de quels renseignements les Allemands l’accusèrent-ils de vol, de sabotage et, de plus, de propagande clandestine ? Thonet savait que les accusations dont il était chargé, et qui étaient bien fondées, suffisaient à le conduire au poteau. Il savait aussi qu’il tenait entre ses mains le sort de ses camarades. Mais les Boches allaient essayer de frapper un grand coup. Ils pressentaient avoir mis la main sur un personnage de marque et ils se proposaient de lui arracher son secret. Selon leur brutalité coutumière, ils entreprirent l’interrogatoire du prisonnier, l’homme s’enferma dans un mutisme absolu.

Thonet s’était élancé vers une haie. Le cœur battant, il entendit les Boches hurler un ordre menaçant. Les balles sifflèrent ; le crépitement des armes fut un stimulant pour l’évadé. La satisfaction d’avoir réalisé la première partie de son plan lui donna des ailes. Encore quelques bonds effectués en zigzaguant… Les poursuivants ne pouvaient régler leur tir.

Les balles s’espacèrent. Bientôt notre homme fut hors de portée. Atteignant une dépression de terrain il profita d’un chemin creux, puis d’un bosquet pour semer définitivement ses adversaires. Et lorsqu’enfin il s’arrêta pour souffler, il était libre ; libre et hors de danger immédiat. Toutes ses souffrances passées, toutes les humiliations subies s’effaçaient devant cette joie immense : être libre. Et sa liberté, il la devait à ses efforts ! Dans un sursaut de fierté, il se redressa. Un désir de vengeance, un projet grandiose, un espoir infini l’animèrent soudain.

Résolument, Thonet partit de l’avant ! Et toujours de l’avant, il ne s’arrêterait plus en route !…

A suivre

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