Nos cours d’histoire, catalyseurs de notre racisme ?

Monsieur Robert Tangre, je sais que vous êtes fort occupé, mais je suis préoccupé par les conséquences psychologiques et sociales à court terme comme à long terme du choix des personnes présentées comme ayant été importantes pour notre histoire. Aussi serait-ce formidable que vous puissiez prêter une oreille attentive aux solutions qui me paraissent les meilleures pour l’ensemble de la population. D’avance je vous remercie de votre écoute.
1° Notre choix actuel consiste à mettre à l’avant plan des personnalités perverses !
Dans nos manuels d’histoire, à l’intention de nos enfants, nous faisons la part belle aux dirigeants politiques de sexe masculin et parlons très peu des femmes, tout comme très peu des artistes, des inventeurs, des femmes et des hommes de la rue, c’est-à-dire de vous et moi en somme.
Or le monde politique attire les pervers car ceux-ci aiment le pouvoir. Ils sont mégalomanes et n’ont jamais assez de gloire, de pouvoir, d’argent, voire de sexe. Ils n’ont aucune morale. Pour eux, la fin justifie les moyens et seul leur intérêt compte. Ils n’ont aucun respect pour les autres, pas même pour leur vie. Ils sont manipulateurs, menteurs, de mauvaise foi et cyniques car ils fonctionnent sur le mode du clivage, c’est-à-dire qu’ils vont nier tout ce qui les dérange dans le réel. Pour eux, tout simplement « ça » n’existe pas. Ils ne se considèrent jamais en tort. Selon eux, tout est toujours de la faute des autres. Notre histoire, dans les manuels, est donc essentiellement une histoire de pervers, une histoire sexiste, machiste et faisant la part belle aux personnages sans morale.
2° Le danger des identifications lorsqu’elles sont meurtrières.
Par ailleurs nous faisons le choix de nous abstenir de porter un jugement quelconque à leur égard vu qu’il s’agit de faits anciens s’étant produits à d’autres époques, dans d’autres cultures. Ces choix sont-ils innocents ? Avec notre absence de jugement sommes-nous réellement neutres ? En fait, du fait de notre absence de jugement, nous présentons comme des héros ces personnages brutaux, tout puissants, loin des personnalités communes que l’on côtoie au quotidien. En clair le message implicite que nous envoyons à nos enfants est le suivant : « Eux ont réussi ! Si tu veux réussir dans la vie, sois donc comme eux, roublard, menteur et sans foi ni loi ni pitié. »
En les mettant ainsi à l’avant plan, nous les proposons, fut-ce inconsciemment, comme modèle d’identification à nos enfants. Plutôt que de s’abstenir de tout jugement à leur égard il serait préférable de s’interroger sur leur apport à l’humanité et sur le rôle des cours d’histoire dans notre nationalisme, voire notre racisme.
Alexandre le Grand : combien de morts sur le chemin de ses conquêtes ?
Jules César : génocide des Eburons.
Charlemagne : génocide des Saxons.
Adolf Hitler : génocide du peuple juif.
Roland de Roncevaux : pillage de la ville de Pampelune en 778, le Guernica de l’époque.
Godefroid de Bouillon : massacre des Juifs et des Musulmans lors de la prise de Jérusalem en 1099.
Léopold II : enrichissement personnel sur le dos du Congo.
Les mettre ainsi à l’avant plan dans nos manuels d’histoire, c’est nous forger des identités meurtrières et favoriser des contre-identités tout aussi meurtrières chez les descendants de ceux que nos aïeux ont tué. Certains arabes ont ainsi le désir de venger le sang versé en 1099.
3° Le clivage, le fanatisme et les guerres.
Tant que nous écrirons une histoire nationaliste de notre pays avec « les héros » chez nous et « les mauvais » en face, nous garderons une vision clivée du monde : les bons chez nous et les mauvais chez les autres. En effet s’identifier aux « bons héros » sanguinaires de notre histoire en opposition aux « méchants d’en face » est le terreau fertile du clivage « bon-méchant », donc du nationalisme et du racisme.
L’omission dans nos manuels d’histoire de la sagesse, de la bravoure, de l’intelligence des personnalités qui, par le hasard du destin, se sont retrouvées de l’autre côté des « croisades » aide l’Etat islamique à trouver des recrues chez nous.

4° Le regard sexiste de nos manuels d’histoire.
Nos manuels d’histoire préfèrent retenir la figure de Périclès plutôt que celle d’Aspasie, sa compagne. Or celle-ci a su convaincre Socrate de l’égalité entre les hommes et les femmes. Il s’agit d’un des tout premiers mouvements féministes dans une Grèce où il était de bon ton que la femme passe inaperçue.
Ovide ne mérite-t-il pas plus notre considération avec son œuvre « L’art d’aimer » qui est un appel à l’égalité entre les hommes et les femmes plutôt que Jules César avec sa « Guerre des Gaules » qui est l’apologie de la loi du plus fort.
Malheureusement nos manuels d’histoire nous font croire que la femme est inférieure à l’homme vu que, en ne les citant pas, ils accréditent l’idée qu’elles n’ont pas contribué à faire l’histoire.
5° Il y a pourtant des solutions.
La première démarche consiste à présenter la vie des « petites gens » plutôt que celle de quelques familles régnantes. Nous pourrions donc privilégier la façon dont vivaient madame, monsieur tout le monde avec comme point de départ les grandes migrations au départ du continent africain, notre berceau à tous. Nous pourrions prendre des points de repère temporels plus ou moins réguliers, à savoir -5.000 ans, -4.000 ans, -3.000 ans, -2.000 ans, -1.OOO ans, -500 ans, -100 ans, etc. … avec une situation typique sur chaque continent. Nous pourrions ainsi apprendre la façon dont les gens vivaient en Océanie, En Asie, en Afrique, en Amérique, et aussi chez nous en Europe.
La deuxième solution est une démarche complémentaire de la première. Il faudrait réécrire l’histoire avec des historiens qui proviennent d’horizons opposés, horizons qui ont été en conflit les uns contre les autres. Par exemple l’histoire des croisades devrait être réécrite conjointement par des historiens des deux bords de la Méditerranée. Idem pour l’histoire de la colonisation du Congo.
La troisième démarche consiste à mettre à l’honneur des personnes qui ont apporté un progrès pour l’ensemble de l’humanité. Dans cette démarche il faudrait mettre à l’honneur autant de femmes que d’hommes. Il faudrait un même nombre de représentants de chaque continent.
Lorsqu’une personne ne peut être citées, faute de sources, nous pourrions choisir de nommer sa peuplade, le pays et l’époque de l’invention, de la création mise à l’honneur. Je pense ici à la découverte du « zéro avec les Babyloniens, les Mayas et enfin les Indiens.
Nous pouvons considérer comme des progrès pour l’ensemble de l’humanité des découvertes comme celle du feu et des inventions telles que celle de l’écriture, du zéro, de la roue, de l’élevage, de l’agriculture, de l’imprimerie, de l’art et que ce sont ces progrès-là qui méritent d’être mis à l’honneur plutôt que la soif de conquêtes sanguinaires de quelques personnes avides de gloire.
N’est-il pas préférable de parler à nos enfants, par exemple, de Thor Heyerdahl et de sa traversée du Pacifique à bord du Kon Tiki ? N’est-ce pas préférable de se souvenir de lui que de Hiro Hito, l’empereur de Japon de la deuxième guerre mondiale ?
N’est-il pas préférable de se souvenir de Marie Curie et de ses travaux sur la radioactivité, de Camille Claudel et de ses sculptures, etc. … ? Ne sont-elles pas des exemples d’identification préférables à Cléopâtre et ses amants politiques, à Marie-Thérèse d’Autriche et ses manipulations de sa fille, Marie-Antoinette ?
C’est en tous les cas le choix qui me semble le meilleur. Cela pourrait donner à tout un chacun des possibilités d’identifications positives et donc diminuer d’autan le risque que certains de nos enfants donnent leur âme à des entreprises totalitaires telles que l’Etat Islamique.
La quatrième démarche consiste à décrire l’histoire de certaines notions telles que l’histoire de la démocratie, de l’esclavage, des religions, du sexe et du plaisir, de l’égalité hommes femmes, etc. …
La cinquième démarche consiste à donner quelques notions sur le fonctionnement humain avec la compréhension des mécanismes pervers et la notion du clivage.
La sixième démarche consiste à débusquer tous les sous-entendus clivants, ainsi que tous les propos susceptibles d’opposer entre eux des groupes ethniques, religieux ou autres. Un exemple de sous-entendu clivant est l’idée selon laquelle « Charles Martel a arrêté la progression des Sarrasins à Poitiers en 732 », vu que cela laisse croire à un choc entre le monde chrétien et le monde musulman, ce qui n’a pas du tout été le cas.
Marc Dellisse