
Je viens de terminer la lecture de ce beau livre très documenté sur la vie et l’œuvre de Jean Ferrat, ce grand chanteur et militant de gauche. J’aime ses chansons que je réécoute régulièrement mais je ne peux que partager entièrement les propos du chanteur sur les raisons de son engagement politique. Je m’y retrouve. Lisez donc cet extrait repris dans le livre écrit par Raoul Bellaïche.
Dans le parc de la Fondation Aragon, Drucker et Ferrat parlent politique. « Que reste-t-il de tes engagements ? », demande le premier.
Ferrat : « Je suis toujours un homme non pas de gauche, mais d’extrême gauche. Je ne me fais pas au monde tel qu’il est et à ce qui va advenir de lui. Je ne me fais pas à cette société libérale dont on nous dit qu’elle est inévitable et qu’il n’y a plus d’autre chose à faire… comme si l’histoire avait une fin […].
On comprend que les jeunes soient troublés, désespérés. Et on comprend aussi qu’il faut qu’ils réagissent. Les hommes ne se sont jamais laissé faire longtemps, il y a toujours eu une réaction… Donc, j’attends cette réaction qui doit changer l’avenir de l’homme. »
« Il y a beaucoup plus de choses qui m’inquiètent que de choses qui me réjouissent », nous dit Jean Ferrat, fort remonté lorsqu’on évoque avec lui la marche du monde… « Ce qui m’inquiète, c’est le lâcher sans frein du système capitalisme qu’on dit indépassable mais qui donne, déjà, les résultats que l’on voit : la régression au Moyen Âge dans les pays de l’Est et, dans les pays sacrifiés, la montée des fanatismes religieux. C’est une période de régression terrible de la civilisation qui menace vraiment les fondements mêmes de nos sociétés plus démocratiques.
« Les gouvernants ? Ils ne pensent qu’à leur pouvoir. Tout le reste, ce sont des mots. Regardez ce que cela donne en France : la désespérance, le chômage terrible, le manque de perspective de la jeunesse, et puis cette multiplication des « affaires ». Il y a une extraordinaire hypocrisie de la part des hommes politiques
« Tout le monde sait que la corruption n’est pas une chose nouvelle et que la complicité du monde des affaires et de la politique est une chose qui remonte à Dieu sait quand. Et on feint de considérer çà comme une chose normale ! Ce qui est normal, d’après eux, bien qu’ils ne le disent pas, c’est que ça vienne au grand jour. Je n’ai pas entendu un seul homme politique dire : « Mais ce qui arrive là est normal, c’est évident que ça ne pouvait pas être autre chose. »
« Quand on propose comme idéal de société un monde où l’argent est l’unique référence, où il faut absolument être le plus fort envers et contre tous, et envers et contre tout, cela donne ce que l’on voit se manifester maintenant. Quand on voit tous ces présidents de monstres économiques et industriels se retrouver menottes au poignet et embarqués comme de vulgaires spadassins, d’un côté, c’est réconfortant, de l’autre, c’est terrible comme enseignement. Ceux qui vantaient les mérites n’étaient finalement que de petits voyous, des crapules. Maxwell, on le citait en exemple, quand il arrivait quelque part, on développait le tapis rouge. Pour les jeunes, c’était ce qu’il fallait suivre… Maintenant, on s’aperçoit que c’était un escroc, un bandit. Voilà l’état de ma désespérance ! »