Armée belge des partisans armés (2)

Le temps passa…

Raoul Baligand né à Roux le 4 janvier 1913, décédé à Bruxelles le 28 décembre 1981, membre du Parti communiste, commandant de l’Armée belge des partisans, président du Front de l’Indépendance

Ceux qui, ne se fiant pas aux belles paroles de l’ennemi, avaient regagné leur foyer par leurs propres moyens, commençaient à se rassurer. Les Boches n’avaient pas l’air de s’occuper d’eux. Et puis, les hommes de Hitler étaient si corrects, (certains disaient affables) ! Ce n’étaient plus les pillards de 1914.

Ils payaient leurs acquisitions. Seulement, les mains pleines de fausse monnaie, ils vidaient systématiquement nos magasins avec un semblant d’honnêteté. Soieries, lainages, maroquineries, jouets, etc.… prirent le chemin de l’Allemagne à une cadence accélérée. Quand les protecteurs furent bien servis et les stocks épuisés, on songea à réglementer la vente des textiles.

Les rexistes redressaient la tête. Leur heure était venue ! Ils allaient pouvoir nager à pleine brasse dans leur élément : la trahison et la délation.

D’autre part, dès juillet 1940, certains ouvriers se distinguèrent en portant un brassard blanc. C’était la marque imposée par l’Allemand aux travailleurs volontaires. Chose étonnante, on reconnut parmi ces derniers des gens qui, avant la guerre, avaient pour le travail une aversion prononcée : des chômeurs professionnels, fainéants de toutes espèces, tel cet agent de police révoqué pour vol en 1934.

Tout cela nous donne une idée des adeptes de l’ordre nouveau. En même temps, nous comprenons quelle méfiance devaient exercer les réfractaires à l’esclavage, et les embûches qu’ils allaient rencontrer.

Notre ami du 21e B. Du Génie avait rejoint son foyer, dans les environs immédiats de Charleroi. Après l’armistice franco-allemand, les Boches soufflaient et préparaient l’invasion de la Grande-Bretagne. De l’autre côté de la Manche Churchill et De Gaulle unissaient leurs voix pour prédire une lutte longue et cruelle mais aussi pour donner l’assurance de la victoire. Et dans tous ces discours, dans toutes ces promesses, un ordre était lancé à notre adresse : résister !

Résister ? Oui ! C’est à quoi était résolu l’évadé questionné aux bureaux de l’Office du Travail qui à ce temps-là, n’était pas encore empesté de la collaboration au grand jour.

Les formalités ne furent pas compliquées :

  • Votre nom ? Baligand Raoul
  • Profession ? Électricien.

Deux jours plus tard, Baligand se retrouvait sur l’aérodrome de Méaulle, près d’Albert, dans la Somme. Beau début, pour un homme qui ne voulait pas se rendre !

Il y avait à Méaulle une usine de réparation d’avions dont une parie devait être restaurée ; et les Boches projetaient l’agrandissement des installations.

Dès son arrivée, Baligand rencontra nombre de gens astreints aux pires corvées, voués à tous les maux pour la seule raison qu’ils étaient épris de liberté : exilés yougoslaves, républicains espagnols, raflés dans tous les bureaux du Travail du pays. Tous ces hommes écrasés sous le même joug devaient être animés des mêmes sentiments : tenir résister ! Résister à l’oppresseur et vaincre ensuite. Certains succomberaient à la tâche, mais les autres seraient là, plus forts, plus unis que jamais, et passeraient la consigne à leurs successeurs. L’agression nazie a eu l’effet merveilleux, inattendu, de grouper tous les patriotes d’Europe, de créer entre eux la compréhension, la sympathie, une communauté de pensée et d’action.

Les vainqueurs d’un jour se targuaient de former un bloc européen. Ne s’apercevaient-ils pas que cette fraternité germait justement chez leurs victimes ? C’est dans la misère et non dans l’enthousiasme d’une victoire éphémère que fut semé l’amour des peuples, la solidarité de tous. Les Européens, de tous les citoyens du monde. La croissance peut être lente, mais à toute semaille arrosée de sang, tôt ou tard succède une moisson riche et profitable.

Voici donc, concentré à Méaulle, un cortège de parias, mais de parias honnêtes, intelligents, conscients de leurs droits et de leur devoir, des hommes que ne se rendaient pas et qui marchaient, peinaient sur le rude chemin conduisant à leur idéal : la liberté.

Méaulle ! Point de départ d’une fraction de l’Armée des Partisans qui devait ensuite s’organiser sérieusement dans le pays de Charleroi.

Baligand et ses camarades étudièrent tous les moyens de nuire à l’ennemi. Les premiers sabotages furent effectués.

Les Allemands rassemblaient à l’usine leurs avions avariés : mais avant d’entreprendre les réparations, on brisait quelque pièce demeurée intacte, ce qui prolongeait le séjour des appareils dans les ateliers.

Les sceptiques hausseront dédaigneusement les épaules. Un homme qui introduit un écrou dans un cylindre ou qui laisse ouvert un robinet de pompe à essence, qu’est-ce que cela rapporte ?

Mais si des milliers et des milliers d’hommes pensent et agissent comme celui-là et poursuivent leur action chaque jour ?

L’Espagnol qui, d’un coup de marteau maladroit brisait un minuscule appareil de bord combattait les ennemis de sa patrie, les ennemis des hommes. Le Belge qui recouvrait une tenaille sous une pelletée de terre ou qui glissait une pincée de sable dans un graisseur retenait pour un jour, sur la piste d’envol, un chasseur assassin. Et le Français qui tordait légèrement ce guidon de mitrailleuse sauvait la vie à son frère, soldat sous les ordres de Leclercq.

Entre-temps, Baligand avait fait connaissance de Gaston Yernaux, appelé à devenir commandant du Corps des Partisans bruxellois. S’entendant à merveille, les deux hommes étendirent leur activité.

À la réception des premières machines-outils neuves, le groupe de récalcitrants donna toute sa mesure. Une foreuse, dans sa caisse étroite et très haute, fut maladroitement (ou adroitement ?) culbutée au fond d’une citerne en construction. Les Allemands vociférèrent, menacèrent, mais qui était coupable ?

Dix hommes travaillaient à la manœuvre ; l’engin était très lourd, peu maniable, et les appareils de levage trop faibles !…

On renforça les équipes : perte de temps !

Impossible de continuer à renverser les machines, mais certaines pièces disparurent mystérieusement. On attribua ces disparitions au manque d’organisation au départ ou à un vol au cours du transport. Hélas ! Les choses se gâtèrent.

Ayant jusque-là, joui de l’impunité, et agissant, pour la plupart individuellement, les hommes, dont l’audace grandissait, multipliaient et amplifiaient leurs exploits. C’est ainsi qu’un beau jour trois avions remis en état prirent feu en même temps malgré que l’interdiction de fumer dans les hangars fut de rigueur.

Cette fois, inutile de simuler un accident. Furieux, les Allemands cernèrent le cantonnement et les arrestations commencèrent.

Heureusement, la plus grande partie du personnel incriminé dans l’affaire avait pu s’échapper. Ayant appris qu’on les recherchait, Baligand et Yernaux reprirent le chemin de la Belgique.

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