Suite de notre précédent article : « La RTBF va-t-elle réellement plus souvent dans les écoles catholiques ?

Suite de notre précédent article : « La RTBF va-t-elle réellement plus souvent dans les écoles catholiques ?

Comme certains téléspectateurs, Faouzia Hariche et Fanny Constant ont le sentiment que la RTBF se rend davantage dans les écoles catholiques. Vu tout ce qu’on vient de détailler, cela ne serait guère étonnant. Mais cela valait tout de même la peine de vérifier.

Votre dévouée journaliste a donc fait quelques recherches dans les archives, histoire d’objectiver la chose. Les sujets diffusés le 23 janvier sont-ils représentatifs d’une tendance plus générale ? Pour le savoir, j’ai tapé le mot « école » dans notre moteur de recherche et j’ai collecté tous les sujets spécifiquement réalisés dans des écoles depuis un an dans les JT de 13h et de 19h30. Certains d’entre eux sont sûrement passés à travers les mailles du filet mais j’en ai tout de même relevé 88, dont une quinzaine de sujets diffusés deux fois, donc plus de cent diffusions au total. Un bel échantillon.

Conclusion : 36 sujets dans le libre (essentiellement catholique), 40 dans l’officiel et (seulement) 4 sujets mixtes (les deux réseaux sont représentés). Sans parler de la poignée de reportages dans des écoles privées payantes ou non identifiées.

Selon cet échantillon, nous allons donc en réalité, et malgré les obstacles, un peu plus souvent dans l’officiel ! Evidemment la représentation des réseaux peut beaucoup varier d’une semaine à l’autre. A la rentrée des classes cette année, c’est l’officiel qui était à la fête mais d’autres années, c’était peut-être l’inverse…

Fanny Constant du CECP fait remarquer qu’il faudrait aussi prendre en compte les voix officielles qui représentent les réseaux : entend-on plus le Segec (catholique) que les représentants des réseaux officiels ? Je n’ai pas de réponse à cette question qui demanderait des recherches beaucoup plus complexes. Dans cet exercice, je me suis concentrée sur les écoles elles-mêmes.

A quel point sommes-nous en décalage avec la réalité ?

Globalement, libre et officiel se partage le gâteau de nos sujets en deux, avec une légère surreprésentation de l’officiel. Comme dans la réalité ?

En Belgique francophone, il y a plus de 870.000 élèves. La moitié va dans l’enseignement libre et l’autre moitié dans l’officiel. Avec des nuances : en maternelle et en primaire, la balance penche pour l’officiel (60%), en secondaire la balance penche pour le libre (60%). C’est grosso modo ce que j’observe dans les sujets collectés.

C’est d’autant plus remarquable que j’ai compté près de quarante journalistes différents ayant réalisé entre un et quatre reportages dans l’échantillon. Dont moi. Ce qui veut dire que personne n’a au jour le jour une vision globale de ce qui a déjà été tourné dans tel ou tel réseau.

Mais qui bénéficie des sujets positifs ?

L’autre grande récrimination concerne la teneur des sujets. Alors, fait-on plus de sujets positifs dans les écoles catholiques et plus de sujets négatifs dans les écoles officielles ?

J’ai considéré comme « sujets positifs » ceux qui montrent des chouettes initiatives ou qui génèrent une image plutôt sympathique (la Saint-Nicolas, un projet théâtral, une initiative pour la lecture, des cours de chinois, etc.) : résultat identique dans les deux réseaux. Mais petit avantage à l’officiel pour la rentrée des classes avec trois sujets sympathiques supplémentaires.

Dans les sujets neutres (illustration), même constat, c’est réparti entre les deux réseaux.

Là où il y a une différence, c’est dans les sujets négatifs. J’ai considéré comme négatifs les polémiques, les faits divers, ce qui a trait à des problèmes dans les écoles. Et là on voit que l’enseignement officiel est davantage représenté, en particulier dans le secondaire. Polémique à la ville de Bruxelles à propos d’une liste noire d’élèves perturbateurs, soupçons de pédophilie dans une école de Forest, encadrement psychologique après une agression au couteau, une école délabrée, etc. Ceci dit ces sujets restent une minorité : quatre dans le catholique, 12 dans l’officiel, sur un total de 88 sujets, sur un an. Ce sont surtout des sujets liés à l’actualité pour lesquels on ne choisit pas de tourner dans tel ou tel réseau.

Comment expliquer la perception que nous sommes moins favorables à l’enseignement officiel ?

Si l’on part du principe que la collecte de sujets est suffisamment représentative, ce que je pense, le fait que l’on tourne un peu plus dans l’officiel mais que cela corresponde aussi à un nombre un peu plus élevé de sujets « à problèmes » explique peut-être cette impression récurrente que la rédaction accorde plus d’attention positive à l’enseignement catholique, surtout dans le secondaire.

Autre hypothèse : le public n’est peut-être pas toujours conscient du poids numérique réel – important – de l’enseignement libre dans le paysage de l’enseignement francophone.

Pour beaucoup de personnes laïques, l’enseignement libre reste une anomalie

Par ailleurs, curieusement, quand nous tournons plusieurs sujets neutres ou positifs dans l’officiel, nous ne recevons pas de réactions côté catholique estimant que c’est déséquilibré. Comment expliquer cette différence ? Serait-ce lié à notre histoire scolaire mouvementée ? A l’histoire du mouvement laïque en Belgique ?

Pour Caroline Sägesser, chercheuse de l’ULB spécialiste de la laïcité et des religions, il faut se souvenir qu’en Belgique, le mouvement laïque est historiquement un mouvement d’opposition face au pouvoir de l’Eglise et à son influence sur les rouages de l’Etat. « Pour beaucoup de personnes laïques, l’enseignement libre reste une anomalie. Il y a peut-être une conviction que l’enseignement officiel est davantage légitime que l’enseignement catholique, qui reste un enseignement privé subventionné. Surtout sur une chaîne publique comme la RTBF », estime-t-elle.

« L’école a été le premier champ d’affrontement de part et d’autre du clivage philosophique, et ça le reste. Les compromis auxquels on est arrivé, dont la loi du Pacte scolaire, sont vécus par beaucoup de personnes laïques, qui ont le modèle français en référence, comme des échecs pour la laïcité. Donc oui, il y a cette position un peu défensive par rapport à l’enseignement libre dans le monde laïque ». Une sensibilité qui pourrait aussi expliquer cette vigilance face à nos journaux télévisés et nos journaux radio.

Sylvia Falcinelli

Extrait de RTBF Info

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