
Sandro Baguet : « En mai dernier, les policiers ouvrent le feu sur une camionnette transportant des sans-papiers. Une gosse de 24 mois est abattue. Triste résultat de la criminalisation de l’immigration ? »
Freddy Bouchez : Les personnes migrantes n’ont jamais été aussi criminalisées, que ce soit en Belgique ou dans l’ensemble de l’UE. En Belgique, des partis comme la NVA n’hésitent pas à créer des amalgames entre migrants et délinquants. Il y a quelques semaines, on a posé la première pierre d’un nouveau centre fermé pour étrangers qui doit être construit à Anvers d’ici 2020-2021. Lors de cet événement, le bourgmestre NVA de cette ville, Bart De Wever n’a pas hésité à dire que cela permettrait d’arrêter les trafiquants de drogue qui sont pratiquement tous, selon lui, des illégaux. Les soi-disant illégaux, dans notre pays, ce sont des demandeurs d’asile qui se sont vu refuser de façon subjective le statut de réfugiés. Quand même 50% de refus sur l’ensemble des gens qui font une demande d’asile.
Ce sont aussi par exemple des personnes qui, pour des raisons économiques sont entrées sur le territoire avec un visa touristique et qui y sont restées ou encore les personnes adultes ou mineures du Parc Maximilien et de la Gare du Nord à Bruxelles, souvent des Soudanais qui veulent rejoindre l’Angleterre. Parmi les personnes qui entrent avec un visa touristique, il y a aussi celles auxquelles la Belgique a refusé une possibilité de regroupement familial. Les conditions du regroupement familial se sont durcies et cela entraîne des séparations familiales ou entre époux durant de nombreuses années, périodes qui sont difficiles à supporter. Dès lors, au bout de nombreuses tentatives infructueuses de demandes de regroupement, on utilise le visa pour arriver en Belgique et puis on reste sans statut et on est donc considéré comme illégal.
Il n’est pas vrai comme le dit le bourgmestre d’Anvers que les centres fermés sont construits pour nous protéger du trafic de drogue qui serait presque toujours le fait de gens en situation illégale. Les centres fermés sont des lieux de privation de liberté, de véritables prisons pour des gens qui n’ont rien fait de mal à part chercher un coin sur la terre pour avoir une vie un peu meilleure. Et en Belgique, le gouvernement est en train de construire un centre où l’on pourra à nouveau enfermer des familles avec enfants.
Nous connaissons certaines de ces familles. Elles vivent comme vous et moi. Les enfants sont dans nos écoles primaires et secondaires avec les nôtres, un bon nombre d’entre eux sont d’ailleurs nés en Belgique et ne connaissent pas du tout leur pays d’origine. Quant aux parents, pour survivre, la plupart du temps, ils travaillent en noir dans des conditions de surexploitation inacceptables, y compris parfois sur des chantiers publics. Les parents et les enfants connaissent rapidement notre langue et se lient avec des associations, participent à des activités sociales ou culturelles. Rien à voir avec des dealers de drogue. Mais pour le gouvernement Michel, il est important de faire peur et de criminaliser les sans-papiers pour justifier la création de nouveaux centres fermés et une politique axée sur l’expulsion plutôt que sur l’accueil.
A part celui d’Anvers créé abriter les familles avec enfants, deux nouveaux centres fermés devraient voir le jour dont l’un à Jumet, l’une des communes de la Ville de Charleroi. Et là, on n’y comprend plus rien puisque le bourgmestre Paul Magnette est un des principaux dirigeants du Parti Socialiste. Or, sa ville aurait donné officiellement son accord. Le plus effrayant, c’est que cette ville justifie cette perspective de centre fermé à Jumet par les mêmes arguments que ceux utilisés par la NVA, à savoir que ça pourrait les protéger d’un certain type de délinquance. On voit là que l’idée de criminalisation des sans-papiers et des migrants en général atteint même la sociale démocratie belge. Un comité s’organise pour empêcher la construction de ce centre fermé. Un premier rassemblement devrait avoir lieu le 30 septembre 2018, peu de temps avant les prochaines élections communales-municipales, qui auront lieu le 14 octobre 2018.
Mais la criminalisation des personnes migrantes va encore plus loin : ces dernières années, de nombreuses rafles pour arrêter des sans-papiers ont été organisées, notamment dans des centres culturels fréquentés par certains d’entre eux. Il y a quelques mois, deux sans-papiers, un militant syndical et un artiste ont été arrêtés à Globe Aroma (centre culturel à Bruxelles). Cette rafle a eu lieu alors que ces deux personnes participaient à une activité culturelle précise qui les concernait directement. Elles ont été mises en centre fermé en vue d’être expulsées. Mais une action « espace solidaire » s’est développée en Wallonie et à Bruxelles qui a permis leur libération. D’autres centres culturels ou lieux associatifs se sont mis en action et ont fait savoir qu’ils étaient des espaces solidaires qui n’admettaient pas qu’à l’intérieur de leurs locaux il y ait des rafles et arrestations de sans-papiers. Dans ma ville, à La Louvière, des associations telles que Lire et écrire, le centre culturel « Central », le mouvement laïque ont pris position dans ce sens en affichant en façade de leurs locaux une bâche qui affirme ce principe de non viabilité de leur espace pour ce motif.
Sandro Baguet
A suivre
Qui est Freddy Bouchez ?
La solidarité envers les réfugiés n’est pas neuve. Depuis de nombreuses années, des militants se mobilisent. Ainsi, il y a eu l’occupation d’églises en 2005-2008 et la marche des réfugiés notamment. Parmi ceux qui militent depuis longtemps, il y a Freddy Bouchez qui est Louviérois. A plusieurs reprises, il a accueilli et accompagné des réfugiés, parfois pendant des années.