
D’ici-là, cet éventuel soutien interroge à la fois la stratégie de Jeannette Jara et des partis historiques : rassembler le plus d’étiquettes politiques, jusqu’à celle des centristes du Parti démocrate-chrétien (PDC), pour une large coalition dès le premier tour face à la droite et l’extrême droite ou se contenter de travailler à un soutien officieux pour ne pas trop compromettre son projet politique ? Afin de rassembler, la candidate communiste et les dirigeants du parti ont laissé fuiter pendant quelques jours la rumeur selon laquelle elle s’apprêterait à quitter le Parti communiste pour lui permettre de devenir uniquement la candidate de la coalition Unité pour le Chili.
Ce dernier faisant cependant face à une crise existentielle causée par une hémorragie électorale sans précédent, il finira probablement, par pur pragmatisme, par convenir d’une liste parlementaire unique avec la coalition d’Unité pour le Chili. Un accord qui, dans certaines régions et circonscriptions, pourrait être tout aussi fondamental pour cette dernière puisqu’il augmenterait la probabilité d’une majorité de gauche au Congrès de la République.
La victoire de Jeannette Jara, outre les raisons personnelles et de stratégie politique évoquées précédemment, s’explique également par la mort lente mais durable du centre gauche chilien, aujourd’hui incarné par la coalition du Socialisme démocratique. Les partis du centre gauche conservent leur force au Congrès en raison de leur implantation partisane et des élus historiques, mais sont hors-jeu de la présidentielle depuis 2021. Comme l’ont mis en avant certains observateurs de la campagne de la primaire, le centre gauche n’est plus que l’ombre de lui-même, sans aucune mesure phare et un héritage qu’il ne sait plus défendre. Caractérisé par une logique de compromis visant à canaliser le néolibéralisme chilien sans le remettre fondamentalement en cause, celui-ci a en effet été remis en question par la gauche des années 2010, qui a fini par prendre le dessus sur ses prédécesseurs.
Le faible score obtenu par le candidat Gonzalo Winter, député membre du parti Front large dont est issu le président Gabriel Boric, vient cependant tout autant nuancer la consécration de cette gauche des années 2010. Si le député de la région métropolitaine de Santiago, proche de Boric, s’est peu à peu effacé pendant la campagne face à la dynamique de Jeannette Jara, deux raisons principales structurent son échec. Gonzalo Winter s’est entouré, au sein de son équipe de campagne, des principaux penseurs de la gauche critique des années 2010, qui ont conduit à la création de partis tels que Convergence Sociale ou Révolution démocratique.
Autrement dit, Winter a nommé au sein de son équipe de campagne des proches historiques de Gabriel Boric tels que Francisco Arellano ou Felipe Valenzuela, qui ont conçu un discours ouvertement opposé à l’héritage du centre-gauche et à la ligne idéologique qu’il porte depuis les années 1990. Face à l’engouement rencontré par Jeannette Jara dans les universités et auprès de la jeunesse, séduite par un discours se voulant plus optimiste quant à l’avenir du pays, la rhétorique de Gonzalo Winter semblait usée et trop idéologique, preuve d’une certaine incapacité à marginaliser totalement la gauche de compromis. La seconde raison tient au gouffre entre la radicalité du discours de Winter et la tiédeur des réformes de Gabriel Boric – ainsi qu’à la désillusion consécutive à son mandat dont les seules avancées sociales sont précisément incarnées par… Jeannette Jara.
Dans les jours qui suivent la victoire de Jeannette Jara, une dynamique dans les sondages s’installe, la candidate communiste étant donnée en tête avec près de 25 à 30% des voix, soit quelques pourcentages de plus que le candidat d’extrême droite José Antonio Kast. Cependant, ce dernier terminerait, selon les mêmes enquêtes, en tête du second tour avec près de 46% des voix contre 34 ou 35% pour Jara. Celle-ci fait donc face au défi de parvenir à convaincre les abstentionnistes et les indécis. Ceux-ci représentent en effet pas moins de 20% des électeurs, signe que la gauche a tout intérêt à élargir sa base électorale sans sacrifier ses propositions sociales ambitieuses.
Dans les prochaines semaines, plusieurs défis vont s’ouvrir pour Jeannette Jara : celle-ci pourrait choisir de modifier son programme politique et économique pour l’adapter aux exigences du centre gauche et convaincre ainsi plus de partis de rallier la coalition présidentielle, voire construire une liste parlementaire unique. Au risque de sacrifier ses ambitions initiales, et d’incarner une continuité avec un système oligarchique largement rejeté ?
Texte de Julien Brain aménagé par Robert Tangre pour la commémoration Allende du 11
septembre 2025.