
Spectre de la terreur rouge, Jara affiche un visage de modération. Refusant de promettre des miracles, elle propose « un chemin pour améliorer la vie des Chiliens ». Pour son équipe, la tentation est forte d’adopter une ligne conciliatrice … au risque de reconduire au pouvoir une gauche impuissante face aux élites économique.
Née en avril 1974, c’est à la surprise générale que Jeannette Jara s’est imposée avec un score de 60 % (lors de la primaire de la coalition « Unité pour le Chil » . Ancienne ministre du travail et de la protection sociale du gouvernement de Gabriel Boric, figure majeure de la gauche, elle se projette dans un duel avec José Antonio Kast, le candidat de l’extrême droite aux élections présidentielles novembre-décembre 2025.
Jeannette Jara est fille d’un ouvrier (technicien en mécanique) et d’une mère au foyer. Diplômée de l’Université de Santiago, elle a mis en avant son parcours populaire durant la campagne.
Si Jara s’inscrit dans sa lignée en tant que seconde candidate communiste de l’histoire chilienne, elle n’a rien d’une marxiste orthodoxe. Elle prend notamment ses distances vis-à-vis de Cuba – et du Venezuela. Ses déclarations, qui se veulent conciliatrices, ont cependant gêné les dirigeants du Parti communiste autant que ceux du centre-gauche chilien
Tout au long de sa campagne, Jeannette Jara a préféré mobiliser la mémoire de Salvador Allende et le bilan de la coalition de Michelle Bachelet. La candidate travaille ainsi à construire une mémoire œcuménique de la gauche chilienne, de ses expériences les plus radicales aux plus pragmatiques. Lorsqu’elle démissionne du ministère du Travail et de la Protection sociale en avril 2025 après avoir été désignée candidate par son parti, la communiste est la figure la plus à gauche du gouvernement Boric. Elle incarne un certain nombre de réformes sociales : réduction du temps de travail à 40 heures, augmentation du salaire minimum ou réforme des retraites introduisant une cotisation patronale de 8,5%. La combinaison de ce volontarisme politique avec un bilan flatteur en la matière et un profil populaire assumé ont sans nul doute contribué à sa victoire. Sa propension à la construction de compromis et son leadership, l’ont amenée à être comparée à l’ancienne présidente Michelle Bachelet, L’organisation de cette primaire, cependant, pas été décidée en quelques mois : elle s’inscrit dans un processus entamé dès le début de la présidence Boric.
Au-delà des renoncements de Gabriel Boric
Investi le 11 mars 2022, le jeune président de gauche Gabriel Boric subit un premier revers le 4 septembre de la même année. À l’issue d’une campagne ponctuée d’errances stratégiques et de maladresses, les Chiliens rejettent alors largement une Constitution progressiste, censée mettre à bas l’héritage institutionnel de l’ère Pinochet. Nous avions d’ailleurs évoqué ces erreurs stratégiques du haut de cette tribune lors de la dernière commémoration Allende à Courcelles.
La gauche est alors divisée entre la liste de centre gauche Tout pour le Chili et son homologue Unité pour le Chili. À l’issue de l’élection, la gauche subit un revers qui permet paradoxalement au Parti républicain chilien de réécrire la constitution héritée de la dictature.
Ne souhaitant pas reproduire les divisions de 2022, le résultat en demi-teinte des scrutins de 2024, la gauche et le centre gauche signent un accord de coalition nommé Unité pour le Chili (Unidad por Chile) le 30 avril 2025.
De quoi Jara est-elle le nom ?
Jeannette Jara s’est imposée comme la candidate de son parti, malgré les velléités d’autres personnalités. Le 8 avril 2025, la candidate communiste, tout juste désignée par son parti, débute sa campagne devant la statue de Salvador Allende, située place de la Constitution devant le palais de la Moneda à Santiago. Dès cette prise de parole, le ton de la candidate est donné, un pragmatisme assumé combiné à une modération des propositions programmatiques. Aidée par son charisme et un talent oratoire reconnu jusqu’à la presse conservatrice chilienne, Jara « ne promet pas de miracles » mais propose un « chemin possible pour améliorer la vie des Chiliens et Chiliennes ». La candidate communiste accentue son programme sur le renforcement de l’État-providence au travers d’un accès garanti aux soins essentiels, une attention portée à la santé mentale, un salaire minimum de 680 euros (soit 750 000 pesos, une hausse de 50%) et la construction de nouvelles lignes de train dans le nord du pays, désavantagé face à un sud déjà bien desservi6. Elle cherche à construire un discours qui touche, non seulement les milieux urbains et favorisés, mais également les espaces ruraux7.
Dès la publication des résultats de la primaire, l’ensemble des candidats déclarent cependant sans ambiguïté leur soutien à Jeannette Jara, respectant ainsi l’accord de coalition
Texte de Julien Brain aménagé par Robert Tangre pour la commémoration Allende du 11
septembre 2025.
A suivre