Malgré les études qui alertent sur la présence massive de résidus de pesticides dans notre alimentation et les potentiels dégâts sanitaires, les pouvoirs publics brillent par leur inaction. Voire s’attaquent aux législations qui encadrent l’usage de ces produits.

Ils sont peu visibles et pourtant omniprésents, des champs à nos assiettes. Difficile d’échapper aux pesticides. Ils ont façonné l’agriculture conventionnelle dans le sillage de la Seconde Guerre mondiale, leur consommation doublant tous les dix ans entre 1945 et 1985. Et, avec elle, le volume des résidus qui impactent nos organismes. Les scandales alimentaires se multiplient autant que les données inquiétantes. Manger sereinement n’est pas une sinécure.
Alors que le Salon de l’agriculture ouvre ses portes), ce sujet hautement sensible risque de n’être, une fois encore, abordé qu’au prisme de l’opposition stérile agitée par les libéraux entre revenus et rendements d’un côté, et environnement de l’autre. Au mépris de l’urgence sanitaire et de l’empoisonnement aux pesticides qui s’insinue dans notre quotidien – et dont les agriculteurs eux-mêmes sont les premières victimes.
80 % des fruits avec au moins un résidu de pesticide
L’ensemble des études sur le sujet font froid dans le dos : 80 % des fruits, 48 % des légumes, 56 % des céréales et 73 % des vins que nous consommons sont concernés, selon de récentes analyses menées par l’association Générations futures. Publiées en décembre dernier, celles-ci se basent sur les données du plan de surveillance des résidus de pesticides dans les aliments vendus en France en 2022.
Autre recherche, même inquiétude. La recension effectuée par l’UFC Que choisir, tirée des données des autorités françaises entre 2019 et 2021, alerte sur les contaminations des fruits et légumes cultivés de façon conventionnelle. Les chiffres sont vertigineux. On trouve des résidus de pesticides dans 81 % des abricots, 85 % des bananes et des fraises, 89 % des clémentines, 100 % des céleris et des cerises, 70 % des carottes, 61 % des haricots verts, 41 % des huiles d’olive, etc.
La plupart du temps, ces résidus se situent sous les seuils réglementaires. « Les autorités considèrent que ce n’est pas un problème, tant qu’on ne dépasse pas les limites maximales de résidus (LMR), explique François Veillerette, porte-parole de Générations futures. Mais ces limites sont définies à partir des données toxicologiques basées sur la toxicité aiguë, et fixée substance par substance. » Si les dépassements sont relativement rares, le choix de ces seuils pose question : « Les autorités considèrent que les LMR sont complètement protectrices, ce qui est tout à fait discutable. »
La non-prise en compte de l’effet cocktail
Et ce, pour plusieurs raisons. À commencer par le cumul des substances. Les LMR ne prennent pas en compte le cocktail de pesticides qu’on ingère, pas plus que notre exposition chronique hors alimentation. « Dans la journée, détaille François Veillerette, nous sommes confrontés à toute une série de produits chimiques partout dans notre environnement. Même s’ils sont présents à des doses considérées comme sans effet, cela reste problématique. La prudence devrait être de s’exposer le moins possible à ces résidus », insiste-t-il.
D’autant que, chez les scientifiques, leur présence ne fait pas consensus : « Certains considèrent qu’il n’y a pas vraiment de seuil pour la toxicité d’un certain nombre de polluants, précise-t-il, et donc que la moindre présence de ces produits est préoccupante. »
Si la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, a sauvé in extremis l’Agence bio, elle s’interroge sur « la multiplication des organismes qui s’occupent du bio ».
Parmi toutes ces substances, certaines sont en effet classées cancérogènes mutagènes et toxiques pour la reproduction (CMR) : « Plus d’un fruit sur deux et à peu près un légume sur quatre contiennent au moins un résidu CMR. C’est préoccupant », alerte François Veillerette. Dans son rapport de décembre 2024, l’ONG a décelé des résidus de substances classées CMR dans 90 % des cerises, 88 % des citrons verts et 84 % des clémentines et mandarines. Sur le podium des légumes arrive en tête le fenouil (46 %), suivi des salades (43 %) et des courgettes (38 %).
Cancers, infertilité, pathologies du foie…

D’autres pesticides sont également des perturbateurs endocriniens, qui détraquent le système hormonal. « Les deux tiers des fruits analysés et un tiers des légumes contiennent au moins un résidu de pesticide classé perturbateur endocrinien. Ce n’est pas rien », s’inquiète le militant. Et la liste ne s’arrête pas là. Selon le rapport de Générations futures, 34 % des fruits et 21 % des légumes contiennent au moins un Pfas, des substances per et polyfluoroalkylées dont la toxicité est de plus en plus documentée.
Certains de ces polluants éternels, rappelle l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation), « peuvent avoir des effets délétères pour l’être humain : augmentation du taux de cholestérol, cancers, effets sur la fertilité et le développement du fœtus, sur le foie, sur les reins, etc. Ils sont également suspectés d’interférer avec le système endocrinien (thyroïde) et immunitaire. »
Un métal lourd dans les céréales, le chocolat, les crustacés
Parfois, les limites maximales réglementaires de pesticides sont même dépassées. Il y a un an, une alerte aux pesticides a secoué les rayons des magasins Leclerc. Dans plusieurs départements, la chaîne d’hypermarchés a été contrainte d’opérer un retrait massif de légumes gorgés de plusieurs pesticides (dimethylnaphtalene, fludioxonil, prothioconazole-desthio et bixafen).
Dernière révélation en date, dans l’émission de M6 « Zone interdite »r, la présence de cadmium dans le pain, les céréales, le chocolat et les crustacés. Ce métal lourd, un toxique cumulatif – qui s’accumule dans l’organisme –, est présent dans les engrais phosphatés. « Le cadmium s’accumule en particulier dans le pancréas et est suspecté de jouer un rôle dans l’accroissement majeur et extrêmement préoccupant de l’incidence du cancer du pancréas », prévient Santé publique France. Or, 47 % des adultes et près d’un enfant sur cinq présentent des taux supérieurs aux recommandations des autorités sanitaires en France. De quoi y réfléchir à deux fois avant de saucer un plat ou d’avaler un sandwich.
Tout pour apaiser la colère de la FNSEA
Malgré toutes les données disponibles et les alertes, ce n’est pourtant pas le principe de précaution qui prévaut. Au contraire : la remise en cause des normes existantes prend de l’ampleur. En novembre 2023, la Commission européenne a réautorisé pour dix ans le glyphosate. Autre exemple récent : les sénateurs ont adopté le 27 janvier, à 233 voix contre 109, la proposition de loi de Laurent Duplomb (LR) pour « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ».
En janvier 2022, cinq ONG déposaient un recours devant le tribunal administratif pour dénoncer l’inaction de l’État face à l’effondrement de la biodiversité.
Celle-ci réautorise sur dérogation l’utilisation de l’acétamipride, un insecticide de la famille des néonicotinoïdes, le seul encore autorisé en Europe jusqu’en 2033, notamment dans la culture de betteraves sucrières. Une tentative à peine masquée, à quelques semaines du Salon de l’agriculture, d’apaiser la colère des (gros) agriculteurs, dont la voix est portée par leur principal syndicat, la FNSEA. Tout comme, à l’avant-veille de l’ouverture du salon. Et une manière d’encourager la production massive au détriment de l’environnement, alors même que l’Anses « a identifié 22 solutions pour lutter contre les pucerons et la maladie de la jaunisse dans les cultures de betteraves sucrières. »
L’agriculture biologique, la solution ?
Face à l’omniprésence des substances, les aliments bio pourraient constituer une alternative plus respectueuse de l’environnement et de la santé. Un enjeu de production locale, alors que 83 % des produits bio consommés sont d’origine française. Mais le secteur ne représente que 10 % de la surface agricole française, soit 2,8 millions d’hectares en 2023, en recul de 1,9 % sur un an. La part du bio dans le panier des consommateurs n’était, de fait, que de 5,6 % en 2023, selon le ministère de l’Agriculture. Et pour cause : ces denrées coûtent en moyenne 20 à 30 % plus cher, encore loin d’être accessibles à toutes les bourses.
Surtout, favoriser l’agriculture bio n’est pas à l’agenda politique. Un amendement au projet de loi de finances avait même été voté mi-janvier, actant la suppression de l’Agence bio en supprimant ses 2,9 millions d’euros de crédits. Le 27 janvier, la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, a finalement rétropédalé… tout en soulignant « la multiplication des organismes qui s’occupent du bio ».
« Environnement et biodiversité : des variables d’ajustement »
Les inquiétudes sont loin d’être levées, à rebours des urgences sanitaires et environnementales. « Il faut conditionner les aides, de façon à soutenir davantage ceux qui font des efforts sur les modes de production que ceux qui n’en font pas », martèle François Veillerette. Et de déplorer que « l’environnement et la biodiversité servent de variable d’ajustement ».
Des micro-organismes nécessaires à la fertilité des sols jusqu’aux pollinisateurs, le système alimentaire dépend pourtant de la biodiversité. Comme le souligne l’Office français de la biodiversité, les liens avec notre santé vont même plus loin : « Pour prévenir les maladies et éviter un déclin de la santé publique, il faut commencer par s’attaquer à la perte de la biodiversité, car elle nous expose à de nouvelles menaces. » Au vu des reculs sur les normes protectrices de l’environnement, le message n’a pas encore porté.
Extrait de l’Humanité.