Le mystère Mélenchon

C’est le livre dont tout le monde parle cette semaine : la Meute, co-écrit par Charlotte Belaïch et Olivier Pérou (les deux ont donné leur premier entretien à Marianne), décrit par le menu le fonctionnement de la France insoumise. Purges systématiques, culte du chef, intimidation… Preuves accablantes à l’appui, l’essai documente les us et coutumes d’un mouvement qui se rêve de masse, mais conserve une culture interne de groupuscule lambertiste. 

Il y a près de cinq ans, l’auteur de ces lignes publiait un autre ouvrage consacré à la France insoumise, Mélenchon : la Chute. Le projet du livre était différent. Il consistait à décrire le tournant politique qui avait vu le leader de LFI abandonner son projet de populisme transversal pour orienter son mouvement vers une ligne de gauche radicale teintée de communautarisme, dans le but de conquérir l’électorat des banlieues.

C’est la combinaison des deux éléments qui génère inquiétude et rejet autour de la personne de Jean-Luc Mélenchon. Depuis des mois, aveuglés par le projet chimérique d’une prise de pouvoir à la hussarde au profit de leur chef, les Insoumis soufflent sur les braises de la conflictualité. Délinquants, dealers de drogue, islamistes : voilà la clientèle que flatte LFI, pensant par là même séduire les « quartiers populaires », en attisant au passage la haine contre les catégories de Français qui déplaisent à ses bataillons de cadres, d’un gauchisme bas de plafond. Le mouvement est ainsi devenu un danger objectif pour la cohésion nationale. 

Mais en face de « la meute », il existe une horde tout aussi féroce : celle d’un système médiatico-politique qui déferle sur Mélenchon et ses amis comme la petite vérole sur le bas clergé. L’unanimisme anti-LFI, dans les cénacles autorisés, provoque un certain malaise. Car l’on pressent bien que les invectives de certains ne sont pas uniquement motivées par la « dérive » communautariste ou l’autocratie insoumise. C’est l’idée même d’une force de réel changement social qui est visée. Beaucoup semblent d’ailleurs penser que la solution miracle pour la gauche est de retourner bien sagement sous le giron d’une social-démocratie molle, se proposant d’accompagner les ravages de la mondialisation. Ce brillant projet a mené François Hollande à la capitulation, et le Parti socialiste à la ruine. 

Car en 2017, si la gauche n’est pas morte comme en d’autres contrées (voir le cas italien), c’est bien parce que Mélenchon avait alors repris le flambeau, en s’adressant autant aux passions qu’à l’intelligence des citoyens. Il avait ramené sa famille politique sur ses bases historiques : soutien au peuple, défense de la nation souveraine, laïcité républicaine. À l’époque, le tribun déplaisait déjà aux contempteurs de son « populisme », mais il avait esquissé une trajectoire qui aurait pu le rendre majoritaire, à mille lieues de la situation actuelle qui le place sur le podium des personnalités politiques les plus détestées par les Français.

Bien sûr, tout n’était pas parfait, et nombre des poisons qui ont causé sa déchéance future étaient déjà en germe. Mais pourquoi un tel gâchis ? Comment Mélenchon a-t-il pu détruire si vite l’édifice social, populaire et républicain qu’il s’appliquait à bâtir ? Comment expliquer cette régression infantile, ce tournant vers un extrémisme qui flatte les pires instincts ? Cet identitarisme échevelé, qui sape chaque jour les idéaux universalistes dont il fut un défenseur ardent ? Certains expliquent ce virage par l’électoralisme, d’autres par la psychiatrie. Il doit pourtant y avoir autre chose. C’est le mystère Mélenchon, qui n’a pas fini de nous tourmenter.

Adrien Malhoux

Extrait de Marianne

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