Les gamins au fond de la mine

J’ai débuté comme gamin de taille le 12 février 1936. J’étais dans une taille de 0,8 à 0,9 m d’ouverture. Je clouais du treillis sur des étançons pour former une cage que je remplissais de cailloux que je ramassais dans le charbon qui glissait dans les couloirs.

Déjà un début de triage se faisait de 2 m 50 à 3 m de remblayage par jour dans une taille de 100 m de longueur.

Nous étions 5 à 6 gamins à accomplir ce travail et comme la pente n’était pas assez forte, nous devions pousser le charbon dans le couloir pour arriver dans trémie et de là, tomber dans les chariots.

Donc en ramassant les cailloux, nous faisions du remblayage pour consolider la taille mais surtout, cela servait à envoyer l’air pour aérer les ouvriers abatteurs du charbon. Par la suite, on m’a fait rester dans la galerie, c’est de là que les chariots sont envoyés à la surface. Là, je devais décrocher les chariots remplis que le cageur envoyait un par un dans la cage ascenseur pour être envoyé à la surface.

Les chariots arrivaient par rames de 10 tirés par un cheval accompagné de son conducteur. Mon travail, à moi, gamin, était de décrocher les chariots pleins. Je devais prendre les crochets pour aller accrocher les chariots vides et former des rames de 10 chariots. Le manœuvre les tirait avec son cheval pour repartir à front de taille les remplir de nouveau puis revenir vers la chambre et ainsi de suite.

Alors, à ce moment, au lieu d’être gamin de taille, je suis devenu gamin de trait ou simplement le manœuvre de trait depuis l’année 1936 jusqu’à 1939. Les chariots pesaient de 300 à 500 kg. Cela dépendait de certaines sociétés où j’étais occupé.

J’ai gagné 17 francs par jour soit 2,12 francs de l’heure. Il y avait aussi les gamins de barrage qui passaient dans les tailles où il y avait une pente de 30 à 50 % tous les 40 à 50 m. Là, ils faisaient un barrage pour retenir le charbon. Ensuite, on devait ouvrir les barrages au fur et à mesure que les chariots étaient remplis car sans barrage, le chariot se tassait jusqu’au toit et cela empêcher l’air de passer.

Mais le plus sale travail fait par les gamins comme moi se passait dans les tailles où il y avait de l’eau. Là, le charbon ne glissait pas alors nous étions plusieurs gamins à prendre chacun une bourrée de charbon et les pousser à la queue leu leu jusque la trémie. Il fallait s’asseoir derrière une bourrée de 50 à 60 kg de charbon.

On s’agrippait au bord du couloir ou bien aux étançons pour avoir la force de faire descendre la bourrée. Nous étions tout mouillés et après 3 ou 4 jours de travail, le linge se déchirait surtout évidemment les culottes. Nous achevions la semaine avec les fesses qui frottaient sur les tôles.

Là, j’ai eu la gale de l’eau en juillet 1936. C’était de toutes petites ampoules aux jambes et aux fesses. Les autres gamins étaient arrangés de la même façon mais il n’était pas question d’arrêter un seul jour de travail car la famille devait vivre..

Aujourd’hui, pensez un peu à la souffrance de tous ces gamins qui devaient aller au fond de la mine pour avoir un morceau de pain et en offrir un bout à leurs frères et sœurs. Imaginez quelle fut notre joie quand en 1937, nous avons vu arriver des couloirs oscillants actionnés par des moteurs à air comprimé. Plus besoin de s’abîmer les fesses contre les tôles du couloir. Cela se passait au numéro 10 de Forchies la Marche. Que c’était bon pour nous, nous étions devenus des gamins de moteur !

Gamins de moteur, c’est ce que faisait mon frère Yvon à la taille numéro 27 au puits numéro 16 de Mariemont Bascoup. La sonnette fonctionnait trois fois et il mettait le moteur en marche en ouvrant la vanne à air comprimé. Les couloirs oscillaient et ce va-et-vient faisait glisser le charbon vers la trémie. Pour un gamin, c’était bien. Il aidait aussi les ouvriers à jeter le charbon abattu dans les couloirs et il les servait en leur passant la boiserie dont ils avaient besoin: étançons, bielles, travers, fagots,…

Malheureusement, tous ces jeunes amis ont perdu la vie dans le coup de grisou du 11 mai 1950. Lui, Yvon fut le seul survivant grâce à un chariot dans lequel il était pour faire un besoin naturel.

À suivre

Jean le mineur

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