Les immigrations italiennes et polonaises

Ainsi donc la relation de ce mouvement migratoire belge vers la France peut nous inciter à plus de modestie lorsque nous déclarons que ce sont les autres qui viennent manger notre pain alors que nous nous sommes assez courageux pour nous en sortir seuls! Les réflexions que suscitent les événements que nous avons racontés sont toujours d’actualité.

Un second mouvement migratoire dans le même sens devait à nouveau se produire un demi-siècle plus tard toujours pour des raisons de manque de main-d’œuvre provoqué par la démographie. Mais cette fois, la cause en été surtout les nombreux décès de la Grande Guerre.

En 1918, la France était exsangue. Son déficit est estimé à un million et demi d’individus. Cette fois, ce n’est plus seulement l’industrie qui manque de bras mais aussi l’agriculture. Aussi donc il est de nouveau fait appel à l’étranger. La deuxième vague de 1920 à 1931 attire encore beaucoup de Belges et d’Italiens mais ce sont surtout des Polonais qui arrivent en France.

Les Belges sont surtout représentés par des Flamands. Une fois encore, ils viennent des plaines dévastées de Flandre occidentale qui fut noyée sous une eau saumâtre durant plus de 4 ans, sillonnée de tranchées, ponctuées de cratères de bombes, couverte de débris des armes et au sol retourné par les obus, brûlé par le phosphore. Il restera longtemps impropre à la culture des céréales. De plus, les terres recèlent des millions de projectiles non explosés qui risquent de sauter au contact des socs des charrues. Il valait mieux s’expatrier et chercher du travail auprès de compatriotes installés en France depuis deux générations.

Les Polonais avaient connu aussi la guerre sur le territoire. Alliés des Français, ils avaient été récompensés par la reconstitution d’une Pologne plus grande, plus forte et pourvue d’un accès à la mer Baltique (Gdansk) qui devait assurer sa survie économique. Mais les régimes à tendance dictatoriale et à base militaire qui marquèrent les premières années de la République polonaise avaient suscité un flot d’opposants qui durent chercher refuge hors de leur pays.

La France a été, depuis le 10e siècle, considéré par les Polonais comme un pays ami. La noblesse polonaise et les grands bourgeois se piquaient d’ailleurs de bien connaître le français et venaient volontiers prendre les eaux et le soleil dans les villégiatures françaises. Dès 1931, les Polonais représentaient la deuxième communauté étrangère en France derrière les Italiens et devant les Espagnols. Une majorité de Belges ayant bénéficié des mesures d’intégration déjà évoquées avaient pris la nationalité française et ne comptaient donc plus au nombre des étrangers.

Aujourd’hui, où notre horizon devient européen, les Italiens et même les Polonais sont proches de nous et des Français. En 1930, ce n’était pas le cas. Les « Ritals » ou les « Macaronis », les « Polaks » étaient souvent rejetés dans des ghettos. Le nom imprononçable de ces derniers était jugé inassimilable. Dès 1921, ils avaient fui le régime du Maréchal Pilsudski. Aguerris par les luttes ouvrières soutenues au sein des partis de gauche ou anarchistes, ils s’amenèrent avec un esprit combatif. Très tôt, s’apercevant de l’exploitation dans laquelle les patrons français les tenaient, ils revendiquèrent de meilleurs salaires et des conditions de travail convenables. Très turbulents, ils étaient la bête noire du patronat. Dans le nord de la France en 1934, des immigrés polonais sont expulsés pour avoir fomenté des grèves de « gueules noires ».

Refoulé vers la Belgique, ils furent acceptés par les patrons charbonniers qui avaient grand besoin de main-d’œuvre. Ils rejoignirent ainsi ceux des leurs qui étaient installés chez nous depuis 1920 également.

Un film projeté par Arte illustre bien les grèves déclenchées en France par les mineurs polonais et la brutale répression qui s’en suivit.  Un Gillicien dont le père avait travaillé à cette époque dans une mine du Nord, garda toute sa vie la marque des coups de matraque qui lui furent infligés.

Lors des funérailles des victimes du Bois du Cazier en 1930 – premier accident dans ce charbonnage – les syndicalistes polonais qui tentaient de prendre la parole furent pris à partie par la police communale de Marcinelle.

Aujourd’hui, il n’y a plus guère que les noms ou les prénoms qui nous permettent de distinguer les nationalités d’origine des Italiens ou des Polonais qui ont marqué notre histoire ouvrière comme les Flamands avant eux d’ailleurs.

Ainsi que le disait une amie parisienne, il y a peu : « L’Europe des trusts existe depuis longtemps. Il ne reste plus à faire que celle des travailleurs ! »

Roger Nicolas

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