Le Bois du Cazier

Ils étaient près de trois cents
à mille mètres de profondeur
dans les bouveaux de la douleur.

Trois cents. Trois cents.

Trois cents de notre sang.
Trois cents de notre chair.

Près de trois cents dessous la terre
à se taire de stupeur
à hurler par nos poings

Trois cents. Trois cents.

Trois cents de notre sang,
Trois cents de notre chair.
à saigner par nos mains
dans l’enfer de Charleroi

Le ciel était plus noir
qu’une fumée de deuil.
On entendait pleurer la terre
Du côté de Marcinelle.

Trois cents. Trois cents

Au pied du « Bois du Cazier »
Comme au pied du Golgotha.

On parlait plus bas que les mots.

On parlait plus bas que les morts
derrière les grilles du désespoir,
le cœur plus noir que le soir.

Ils étaient près de trois cents
à mille mètres de profondeur,
dans la fournaise de l’horreur.

Trois cents. Trois cents.

Trois cents de notre sang.
Trois cents de notre chair

Hommes venus d’exil,
au visage d’Italie.

Hommes venus d’ici,
au regard d’avril.

Hommes de partout
aux yeux cernés d’usure.

Hommes aux veines de charbon
incrustées sous la peau.

Hommes à la gueule noire,
à la voix rocailleuse.

Hommes au sourire d’enfant.
Hommes aux mains de soleil.

Je les entends marcher
dans l’épaisseur du temps.

Un père, un frère,
un mari, un enfant.

Trois cents. Trois cents.

Et c’est plus fort que tout
si je suis à genoux
dans le grisou du jour
à écouter leur cœur
battre encore le tambour
sur la terre tendue à craquer.

La terre qu’ils ont aimée
jusqu’à la mort.

Personne n’a oublié,
personne n’oubliera.

Ceux qui sont morts en bas,
sur le front du brasier.

Les cris de désespoir
n’ont laissé qu’un trou noir
dans les poitrines vides,
devant la mort rapide.

Le ciel était de couleur de cendre
et le jour bien près de se fendre.
On entendait pleurer la terre
dans les corons et les ruelles.

On entendait pleurer la terre
du côté de Marcinelle..

Ils étaient près de trois cents
à mille mètres de profondeur.

Trois cents de notre sang.
Trois cents de notre chair.
Trois cents. Trois cents…

Jacques Viesvil

Extrait du livre « Val de Sambre »

Edition de l’asbl Le Progrès

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