
Félicie Mertens est une militante communiste de Thudinie. Elle fut arrêtée par les Allemands, conduite dans un premier temps à la prison de Charleroi puis transférée vers la citadelle de Huy.
« Nouvelles » reproduit aujourd’hui partiellement une partie de son ouvrage et plus particulièrement la description qu’elle fait de son arrivée dans la forteresse. Nous avons recopié le passage de son livre où la camarade évoque Julien Lahaut.
« La voiture qui m’avait amenée, repartit après que l’un des policiers m’accompagnant ait remis des papiers au poste de garde. Flanquée de deux gardes en armes, j’entre dans la cour de la citadelle. Je n’en mène pas large mais je m’efforce de me tenir droite et de ne pas laisser deviner mon désarroi.
Tout à coup, quelqu’un siffle! Je lève la tête : c’est Julien Lahaut, membre du comité central du Parti communiste qui, d’une fenêtre, me salue en souriant. Machinalement, je stoppe ma marche et je réponds à son salut tandis que les gardes me poussent dans le dos. On me guide vers un escalier de pierre qui mène à une ancienne salle de garde où se trouvent une quinzaine de femmes presque toutes de la région liégeoise. Ces femmes avaient été arrêtées pour divers motifs.
En 1941, il y avait assez bien d’hommes internés à la citadelle de Huy. Lors de mon arrivée, j’avais remarqué beaucoup d’hommes debout ou assis par terre. En fait, ils étaient arrivés quelque temps avant moi et attendaient d’être conduits à leur lieu de détention. Comme personnalités politiques que je connaissais de vue, j’ai reconnu l’avocat Jean Terfve et Paul Renotte de Liège
Dans la salle des femmes, la vie en commun n’était pas facile. Certaines prisonnières avaient été arrêtées avec leur époux interné aussi dans la citadelle. D’autres étaient là sans motif d’un acte spécifique de résistance.
Je compris qu’ il y avait chez toutes les femmes un grand mécontentement pour le côté déplaisant au possible des sorties sous escorte armée pour se rendre au WC. Et au pas, il fallait passer entre une double rangée de soldats goguenards et de prisonniers transformés en voyeurs malgré tout.
Je proposai aux femmes d’écrire une lettre collective au commandant du lieu pour qu’il fasse cesser ces exhibitions humiliantes. Par la même occasion, on demanda l’organisation d’une promenade pour les femmes enfermées toute la journée.
Afin de ne pas provoquer d’inutiles représailles, j’avais rédigé la lettre de façon polie. Elle fut remise par des gardes au commandant du fort. Il arriva en personne et demanda qui avait écrit cette lettre éhontée. Personne ne répondit mais d’un seul mouvement toutes les têtes se tournèrent vers moi. Je dis « c’est moi ! ». Le commandant me toisa et tourna les talons. Je m’attendais à des représailles mais il n’en fut rien. Au contraire, quelques jours plus tard, notre demande fut exaucée. Un garde nous conduisit au WC dans une cour vide de badauds et nous eûmes une heure de promenade sur les remparts de temps en temps.
Ce qui manquait le plus c’était des informations sur ce qui se passait au dehors. Ce fut Julien Lahaut qui résolut pour nous ce problème d’une façon originale. Tôt le matin, on le voyait effectuer des mouvements de gymnastique dans la cour. Rien que sa vue donnait du réconfort. Il était toujours soigné de sa personne et arborait son nœud de cravate papillon noir tout en exécutant quelques mouvements de gymnastique. Il nous criait des informations sur les événements extérieurs. Comment était-il informé ? Par quel chemin ? Comment passaient ces précieuses informations, je n’en savais rien mais il était évident que les résistants avaient réussi à établir une liaison avec lui.
Sitôt recueillies, ces informations étaient communiquées aux femmes qui s’y intéressaient. Il est possible que les gardes se soient rendu compte que Julien Lahaut criait autre chose que des accompagnements de gymnastique. Cela dura jusqu’au moment où quelqu’un commit une imprudence.

Au cours d’une de ses séances de gymnastique, Julien Lahaut nous fit comprendre qu’il y avait moyen de passer des lettres au dehors en invoquant le besoin d’aller chez le dentiste. Comme il n’y avait pas de dentiste sur place, on allait chez un dentiste de la ville sous escorte armée.
J’ai demandé la permission de me faire soigner les dents. Le jour de la visite, je cachais sur moi quelques lettres écrites par des prisonnières n’ayant pas de nouvelles des leurs. J’ignorais comment les faire passer dehors car en criant ses communiqués, Julien Lahaut ne pouvait donner trop de détails. Il fallait aviser sur place.
Les gardes armés accompagnant les prisonniers pour la visite se plaçaient derrière le fauteuil du dentiste pendant que celui-ci exerçait. Il se tenait également devant la porte de WC afin de prévenir les conversations inopportunes ou des évasions. Je parvins quand même à me débrouiller. Ce jour-là, le garde attendait devant la porte du WC qui ne pouvait être verrouillée mais il y avait une autre porte donnant sur une arrière-cuisine. Par l’autre porte, je vis un grand panier de linge. J’y fourrai mes lettres et revins rapidement et tirai la chasse d’eau. Ce n’était pas un exploit mais il fallait être rapide. Cette boîte aux lettres fonctionna pendant un certain temps jusqu’au jour où un prisonnier pris de panique tarda trop dans ses mouvements. Le soldat allemand impatient ouvrit brusquement la porte du WC et le prisonnier s’affola au point de vouloir avaler le message, sans succès d’ailleurs. Les sorties en dentisterie furent supprimées. »
Dans son récit, notre camarade Félicie Mertens nous raconte ensuite une évasion de la forteresse de Huy.

Jean Terfve, Julien Lahaut et Paul Renotte
« J’ignorais comme la plupart des prisonniers, l’évasion de l’avocat Jean Terfve, de Paul Renotte et de Julien Lahaut. Le lendemain de cet événement, il y eut un remue-ménage extraordinaire à la citadelle. Tous les prisonniers furent réunis pour un appel inusité. Pendant cet appel, des soldats allemands amenèrent Julien Lahaut en le tenant par les bras et les jambes et le déposèrent par terre devant les rangées de prisonniers pour faire un exemple sur les dangers de vouloir s’évader. Julien Lahaut avait le visage tuméfié comme un homme ayant reçu des coups. J’ai retenu des explications entendues que Jean Terfve et Paul Renotte avaient réussi leur évasion avec des cordes et un créneau à 50 m du sol mais que Julien Lahaut était resté suspendu par la corde, repris et battu par les gardes allemands alertés. Notre ami Lahaut fut mis au cachot où il resta quelques jours avant d’être réellement soigné et pansé.
Les jours froids de l’hiver arrivèrent. Par un petit matin de février 1942, un groupe de prisonnières dont je faisais partie descendit de la citadelle en glissant à chaque pas vu la gelée qui recouvrait le sol. Nous nous tenions par la main pour nous maintenir en équilibre suivies par les gardes en armes. Nous arrivâmes jusqu’au véhicule qui nous attendait pour un transfert vers la prison de Saint-Gilles.
Félicie Mertens
Née en 1911, elle adhère à la fédération de Thudinie du PCB dès 1933. Connue comme militante communiste, elle est arrêtée par la feldgendarmerie le matin du 22 juin 1941 lors de la rafle qui accompagne l’agression de l’Allemagne contre l’URSS. D’abord emprisonnée puis déportée à Ravensbrück, elle reprend son activité militante dès sa libération en 1945 et la poursuivra jusqu’à la fin de ses jours en 1996. Elle sera membre du Comité central de 1946 à 1951 et brièvement échevine des travaux à Binche.
Information CarCoB