Épisode de la retraite allemande en septembre 1944

Une lettre émanant des services de renseignements du Corps 22 des Partisans armés adressée à leur commandant a été retrouvée dans d’anciennes archives de la Maison du Peuple de Dampremy. Elle concerne des renseignements sur les mouvements de troupes allemandes en retraite dans le Nord de la France et en Hainaut en fin septembre 1944.

Forêt de Mormal

Dans la forêt de Mormal se trouvaient des baraquements . Cette forêt de 9165 ha 33 est un vestige de l’antique forêt charbonnière qui couvrait le pays de Nerviens. Pendant la guerre de 1914, les Allemands déjà la saccagèrent littéralement. Au centre de la forêt se situe le village de Locquignol qui doit son nom à un pied-à-terre de chasse que les comtes de Hainaut y possédaient.

A l’intérieur de cette forêt, dans les ravins dont certains ont une profondeur de 30 m se trouvaient de gros dépôts de munitions reliés par le chemin de fer de Decauville venant d’une gare privée de Locquignol et passant sur une passerelle de 300 m. Cette forêt à claire voie était réservée à la construction de mâts de navire. La garde de cette forêt était exclusivement réservée à des bûcherons professionnels venant de Silésie en assez grand nombre. Les bûcherons étaient-ils des prisonniers polonais ou des travailleurs allemands ? Nos amis historiens français pourraient peut-être nous éclairer à ce sujet. L’exploitation de la forêt et les divers dépôts de munitions nécessitaient une forte concentration de troupes allemandes.

Après le débarquement de Normandie et l’inéluctable avancée des alliés survint la libération du pays. On était en septembre 1944 et de nombreux soldats allemands se trouvaient encore encerclés dans la forêt de Mormal. Ils se sentaient perdus et à part quelques fanatiques qui voulaient encore en découdre, la plupart ne songeaient plus qu’à quitter au plus vite cette région et à regagner le plus rapidement possible leur Vaterland natal. Mais par où se diriger ? La forêt est grande. Quel chemin suivre ? Qu’à celle ne tienne, tout avait été prévu au cas où. Des estafettes féminines formées à cet effet étaient chargées de conduire les soldats en lieu sûr. Ici, une autre question se posait : «  Qui étaient ces femmes ? Des auxiliaires de l’armée allemande ou des Françaises connaissant le pays et compromises dans la collaboration? »

Le document ne donne aucune indication. Leur plan était simple. Comme il n’était pas question de demander son chemin aux habitants, chaque soldat était avisé de suivre les lignes à haute tension. Les estafettes féminines leur remettaient un croquis à cet effet. Trois grandes directions avaient été prévues. Elles avaient l’itinéraire suivant : partant de Mormal, il fallait rejoindre la Belgique vers Cambrai, Douai, Arloux, Ferin, Furny et Wasy le Verger puis se diriger vers Le Quesnoy, Raimes, Noir Bouteille, et Eugies. En Belgique, les Allemands se dirigeaient vers Bracquegnies, La Louvière, Saint-Ghislain, Bray, Binche puis vers la centrale électrique de Quesnoy à Trivières pour trouver la ligne à haute tension qui, à travers l’Allemagne, menait à Breslau (actuellement Wroclaw en Pologne), pays d’origine des bûcherons polonais ou allemands.

Mais quel était l’état d’esprit de ces Allemands à ce moment ? Ce n’était plus mai 1940 époque où la guerre s’annonçait fraîche et joyeuse. Dans la défaite , ils avaient perdu leur agressivité et ne songeaient plus qu’à revoir leurs familles , femmes et enfants. Pourtant, ils faisaient encore peur et l’esprit de revanche de la population était omniprésent. Ils étaient traqués par les partisans et des fugitifs étaient signalés en plusieurs endroits. Des escarmouches éclatèrent à Fontaine-l’Evêque, Courcelles et ailleurs.  Quant à nous, encore jeunes à l’époque, nous avons été surpris par des Allemands qui se cachaient sur le terril des Hiercheuses à Marcinelle où nous nous promenions. Nous n’avons trouvé notre salut que dans la fuite. Mais devait-on encore les craindre ?

Un jour, à Renlies alors que je traversais le bois de Cucquegnies afin d’échapper aux contrôleurs du ravitaillement car le transportais quelques livres de beurre, j’ignorais que ce bois était truffé d’Allemands. Ils ne m’avaient pas vu ou fait semblant de ne pas me voir. Ils étaient aussi très nombreux dans le bois de Rance. Beaucoup furent pris et faits prisonniers. On les retrouvera par la suite obligés de travailler dans les charbonnages de Charleroi.

Plus tard , après leur libération, certains restèrent chez nous et « firent souche ». Au début des années 70, une jeune Allemande, Dora de son prénom, vint travailler aux ACEC comme dactylo. De nature, un peu mystique , elle se convertit à la religion des Témoins de Jéhovah et disait vouloir expier les crimes commis par son peuple. Si j’apprenais, dit-elle un jour, que mon père que j’adore , a tué des hommes, je me suiciderais. On dut user de beaucoup de persuasion afin qu’elle comprenne qu’elle n’était pas responsable de tout cela. Elle n’était pas de ce monde quand les nazis avaient pris le pouvoir. Son père, employé comme prisonnier de guerre dans une mine de chez nous, était resté à Marcinelle après sa libération. Il épousa une Belge.

Notes historiques

Le chemin de fer de Decouville qui traversait la forêt de Mormal était à voies étroites (0.4 à 0.6 m d’écartement) des rails où circulaient des wagonnets tractés par des locomotives à vapeur ou à essence. C’est probablement ce type de chemin de fer que les Allemands, en 14-18, utilisaient lors de l’installation de leur scierie à Rance. Une carte-vue de cette scierie montre d’ailleurs des voies étroites .
Locquignol se trouve isolé au milieu de la forêt de Mormal à 30 km au nord-ouest d’Avesnes-sur-Helpe et à 15 km d’Aulnoye-Aymeries. C’est le territoire le plus étendu de l’arrondissement car il comprend la forêt de Mormal toute entière qui abritait autrefois le château des Comtes de Hainaut détruit au 19 -ème siècle .

En 1914-1918, les Allemands ont volé les cloches de l’église. Plusieurs années après le conflit, c’est un rail suspendu dans le clocher que l’on frappait du marteau pour appeler les fidèles à la messe. C’est ce que me racontait mon père qui, qui chaque fois que j’allais dans cette région me demandait si le rail existait toujours.

A propos de la retraite allemande de 1944 toujours, il faut signaler que d’autres forêts de France telle celle de Compiègne, abritaient encore d’importantes troupes du Reich. Les soldats tentaient de s’échapper et en bout de chemin venaient échouer en Belgique. Bon nombre d’entre eux se faisaient arrêter par les Partisans  armés du Borinage qui, selon une note malheureusement non datée et retrouvée à Dampremy, firent 30 mille prisonniers.

La Belgique n’était pas un pays d’où on pouvait s’échapper facilement. La résistance y était bien organisée. Les résistants avaient pourtant beaucoup à faire. En plus du ravitaillement dont ils devaient s’occuper, il y avait la cinquième colonne, c’est-à-dire les collaborateurs au service de l’ennemi qui par tous les moyens sabotaient l’économie. Il fallait donc les mettre hors d’état de nuire.

Au sein de la résistance , il y avait aussi des brebis galeuses : résistants de la dernière heure qu’il fallait détecter. Dans une lettre à la Croix-Rouge datée du 4/10/1944, on accusait les Partisans armés de Charleroi de voler les biens des soldats allemands blessés et soignés par les ambulancières et secouristes de l’Hôpital Auxiliaire de Chimay, conformément au droit international. Celles-ci refusèrent d’assurer la garde de nuit tant que de soi-disant partisans pouvaient s’introduire sous la menace dans les chambres des patients . Le Commandant Alex du Corps 024 de Charleroi répondit qu’aucun de ses hommes ne se trouvait à Chimay en ce temps et que l’on avait affaire à de faux résistants.

Yvonne Ledoux

Des individus de ce genre ont tenté aussi de s’introduire dans les sections du Parti communiste et d’autres partis de gauche. Grâce à Yvonne Ledoux, ancienne Partisane armée qui connaissait leur passé de traîtres, ils furent toujours dépistés. Ces gens faisaient partie de cette fameuse colonne qui sévissait sur les arrières des troupes alliées.

Après la guerre 40-45, l’Europe de demain qui se veut humaine ne peut être que celle des peuples français, belges, allemands et autres qui désormais veulent vivre pacifiquement dans l’amitié et le respect mutuel de chaque culture.

Cela viendra mais il reste encore beaucoup à faire.

Roger Nicolas.

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