La presse clandestine d’avant mai

Plus de 70 ans après la fin de la guerre 1940-1945, il n’est pas vain de se rappeler ce que fut le climat régnant chez nous durant ces mois et ces années d’angoisse lorsqu’on voyait se profiler à l’horizon le spectre de la guerre. Beaucoup de choses ont déjà été dites et écrites à cette occasion et nous n’avons pas la prétention d’ajouter notre pierre à cet édifice historique déjà bien construit. Il n’a pourtant pas été fait beaucoup allusion à la presse d’avant le 10 mai 1940 qui, déjà, avait paru de façon clandestine.

Pendant la période précédant la déclaration de guerre des Alliés à l’Allemagne hitlérienne et jusqu’au jour même de l’invasion, il régnait chez nous un climat de méfiance, de tension nerveuse puis « d’espionnite » entretenu par les déclarations de nos dirigeants eux-mêmes. La politique de neutralité belge, le secret qui prévalait chez les futurs belligérants en ce qui concernait leurs préparatifs militaires, les manœuvres politiques des uns et des autres pour s’assurer des appuis parmi les nations neutres, tout cela empêchait le citoyen moyen de se faire une opinion impartiale. Le sentant confusément, il se faisait l’écho de tous les bruits les plus fantaisistes, sans pouvoir en vérifier le contenu.

On mettait, avec raison, la population en garde contre l’action des parachutistes allemands ou d’espions qui pouvaient se glisser parmi nous. On disait , entre autres, que ces derniers se servaient de panneaux publicitaires comme « boîtes aux lettres » et cachaient le courrier derrière les plaques émaillées vantant les marques de chicorée telles « Rochet » ou « Pacha ». Certaines administrations communales allèrent jusqu’à faire enlever ces plaques sans en aviser les firmes propriétaires.

On racontait aussi que dans un coude de la ruelle du cimetière de Marcinelle entre les rues du Vieux Moulin  et des Haies, une plaque de fer fixée par un boulon cachait un appareil de téléphone dont les espions se servaient.

Par une loi dite « scélérate » par les opposants, le Ministre de la Justice du gouvernement Pierlot-Janson fit publier une série de mesures visant les éléments « subversifs » ou considérés comme tels qui, par leurs actes ou propos, entretenaient un climat de défaitisme, de démoralisation de l’armée et de la population ou portaient atteinte à la neutralité de la Belgique .

En réalité, cette loi visait à établir un certain contrôle de la presse. Mais, était-il « subversif » de présenter la défense des ouvriers mineurs à qui on voulait imposer 60 heures de travail par semaine au lieu de 48 ? Ou de réclamer une nourriture meilleure et des vêtements plus chauds pour nos soldats mobilisés durant ce dur hiver 1939-1940 ? Il n’y avait rien de défaitiste dans le fait de constater les abus et les manques. C’est le rôle d’une presse libre et d’une opposition constructive. Mais cela n’était pas l’avis de nos dirigeants de l’époque, désireux de donner au monde l’image d’une Belgique forte et unie autour d’un gouvernement indiscuté et protégé par une armée enthousiaste et moderne. Bientôt, ces belles apparences allaient voler en éclats. Bientôt, la répression allait se faire sentir.

Le dimanche 11 février 1940, des soldats se trouvaient dans un estaminet de Fosses en compagnie de civils. Tous chantaient l’Internationale. Un chanteur, Fernand Eugène de la localité avait une voix, semble-t-il, plus forte que celle des autres et lorsque la police fit irruption dans le café, c’est lui qui fut emmené. Il fut, par la suite, condamné à 21 jours de prison. Eh … , mais ce chant révolutionnaire a toujours précédé des emmer … pour le pouvoir ! Bien des faits semblables ont été commis à cette époque. Par la suite, plusieurs organes de presse furent interdits de publication  car ils dénonçaient ces abus de l’autorité . En février 1940, c’est le journal «  La Lutte socialiste » du député bruxellois Brunfaut qui fut interdit sous prétexte de démoralisation de l’armée et de sympathie pour les mouvements révolutionnaires autrichien et allemand des années 1920. Il ne fallait pas risquer de froisser ce brave monsieur Hitler …

Des perquisitions furent opérées au domicile de JGS * à Mons, Obourg, Eupen et d’autres localités.

Une certaine presse chrétienne fut aussi prise à partie malgré les protestations de « La Libre Belgique ». C’est ainsi que « Le Flambeau » fut interdit pour cause francophilie. On était neutre, que diable ! Un autre journal syndical chrétien subit le même sort parce qu’il se demandait si on avait bien fait de soutenir la Finlande du Maréchal Mannerheim lors de la guerre russo-finlandaise.

Mais, ce sont surtout les communistes , déjà les bêtes noires du gouvernement qui furent traqués. Tous leurs journaux et publications furent interdits. Ils ne restèrent pas longtemps sans réagir. Ils sortirent une presse clandestine. Les titres changeaient souvent. Il y eut ainsi « Le Journal du Peuple », « La Vérité », « La Vague », « L’Action », « Cisailles », « Toekomst ». et des tracts édités dans le même style d’appellation . Il y eut aussi un journal de tendance chrétienne qui s’appelait « La vrai Visage de la France ». Les distributeurs clandestins ne manquaient pas mais certains furent arrêtés pour leur activité en ce domaine un peu partout.

Dans le Borinage, des perquisitions furent conduites pour retrouver des stocks de journaux destinés à la France où ce genre de littérature était aussi interdit. Plus près de chez nous, à Marchienne, Louis Drugmand**fut arrêté à plusieurs reprises pour distribution de tracts aux charbonnages. Il fut un jour battu car il refusait de signer un engagement « volontaire » à l’armée. Il y eut aussi des perquisitions aux domiciles de communistes comme Dessellier de Châtelet et chez le sénateur Tinclair de Couillet.

A Marcinelle également, il y avait des diffuseurs clandestins. Un de ceux-ci, Jossart, était marchand de charbon. Il s’approvisionnait au triage-lavoir de Monceau-Fontaine , rue des Hiercheuses et livrait aux particuliers en même temps des « braisettes ou les boulets ». Il fournissait aussi de la littérature clandestine sortie du double fond de sa charrette auquel il accédait par une trappe. Averti, le client cachait rapidement le journal. Il fallait être prudent car il y avait déjà des dénonciateurs.

Cette période vit aussi se dérouler des événements plus graves et lourds de conséquences pour ceux ,qui en furent les victimes. La lundi 11 septembre 1939, plus de 200 soldats allemands ont déserté et passé notre frontière. Ils furent escortés par nos militaires en armes jusqu’au camp de Beverloo pour y être internés.

Louis Drugmand

Par la suite, d’autres vinrent les y rejoindre. Par contre, ceux qui étaient porteurs de littérature anti nazie étaient reconduits à la frontière et remis aux autorités militaires allemandes. On n’ose penser à ce qu’il en advint une fois qu’ils furent de nouveau aux mains de Hitlériens. Par la suite, plusieurs de ces déserteurs, instruits par les expériences malheureuses de ceux qui en toute bonne foi, s’étaient remis aux mains de notre gendarmerie, se glissèrent à l’intérieur du pays et furent pris en charge par des personnes ou organisations conscientes de la nécessité de les cacher. Edouard Verdin, militant communiste qui habitait Ry Oursel à Marcinelle connaissait l’allemand . Il en hébergea plusieurs et les répartit ensuite dans les familles marcinelloises. Durant la guerre, Verdin rejoignit les Partisans Armés où il devint instructeur dans le secteur de la presse clandestine. Il faisait partie du groupe armé « Valentin Tinclair ». Le 24 juin 1942, il fut arrêté à son domicile et déporté au camp de Mauthausen où il mourut le 19 novembre de la même année. Il faut aussi souligner que le drapeau de la section communiste de Marcinelle*** conservé très longtemps  chez le camarade Marcel Baugnet, était surmonté de la faucille et du marteau en cuivre façonnés par Verdin, le métallurgiste.

Roger Nicolas

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