
Chères Amies et Amis
Ce 11 septembre peut apparaître comme un jour d’espoir car le peuple chilien a l’occasion de mettre fin au néolibéralisme. Je m’explique :
Rédigée sous la dictature militaire d’Augusto Pinochet, la Constitution chilienne fait l’objet de critiques dès son entrée en vigueur en raison de ses origines ainsi que de son contenu néo-libéral fortement inégalitaire. La Constitution de 1980 établit en effet un modèle économique fondé sur la privatisation d’une large part des biens publics, y compris l’éducation, la santé, les retraites et l’accès à l’eau. La Constitution se voit également reprocher d’avoir permis à une minorité de droite de conserver un pouvoir de blocage à l’encontre de toute tentative de modification du modèle social et économique, en la favorisant lors des élections, tout en imposant des conditions de révision très strictes.
Le mécontentement de la population face aux importantes inégalités sociales est directement à l’origine des manifestations de grande ampleur qui ont eu lieu à partir du 7 octobre 2019. Devant l’ampleur du mouvement de contestation populaire, les dirigeants de la majorité des partis chiliens signent l’« Accord pour la paix sociale et la nouvelle Constitution » le 15 novembre suivant. Celui-ci prévoit l’amendement de plusieurs articles permettant la rédaction d’un nouveau texte fondamental via la convocation d’une assemblée constituante. Un référendum organisé le 25 octobre 2020, voit près de 79 % des votants approuver la rédaction d’un nouveau texte constitutionnel pour remplacer celui adopté en 1980. Les votants choisissent de confier cette rédaction à une assemblée constituante intégralement élue, rejetant la proposition d’une assemblée mixte composée pour moitié de parlementaires.
Si, il y a deux ans, quelqu’un avait annoncé que la gauche chilienne célébrerait aujourd’hui l’une de ses plus grandes victoires politiques depuis la transition démocratique du pays au sortir de la dictature de Pinochet, beaucoup auraient hésité. Et pourtant, nous y sommes.
Les élections des 15 et 16 mai ont complètement changé le paysage politique national au Chili. La droite a reçu un sérieux revers, et la coalition centriste au pouvoir, s’est effondrée de manière spectaculaire.
Tout aussi important, un signal clair a été envoyé : le régime de transition régnant au Chili – négocié à la fin de la dictature entre le centre-gauche, la droite et les militaires – est sous assistance respiratoire.
Les partis de gauche tels le Frente Amplio ( Front large) et le Parti communiste chilien ont remporté de nombreux sièges à la Convention constitutionnelle. Les mouvements féministes et écologistes, mais aussi les représentants des premières nations et des peuples indigènes enverront un certain nombre de représentants à la Convention vers une nouvelle Constitution
La Convention constitutionnelle, approuvée par une majorité écrasante de 78 % lors du plébiscite national de 2020, est une assemblée élue chargée de rédiger la nouvelle constitution. Elle sera formée de 155 membres – 77 femmes et 78 hommes – qui seront chargés de rédiger la nouvelle Magna Carta du Chili

La réforme constitutionnelle votée par le législateur établit que toute loi proposée à la Convention doit être approuvée par une majorité des deux tiers. Une minorité d’un tiers ne pourra bloquer par un droit de veto toute proposition car la droite a échoué à obtenir les 33 % de représentation nécessaires.
De l’avis général, on s’attend à ce que le centre-gauche et la gauche se rassemblent pour former une opposition majoritaire écrasante au gouvernement de droite. Un scénario possible est que les alliances se divisent en trois groupes : la droite et le centre-droit, le centre-gauche (qui comprend le Parti socialiste et d’autres partis réformistes) et la gauche (composée du Parti communiste, du Frente Amplio, de la gauche indépendante et des représentants indigènes).
Les défis auxquels est confrontée la gauche chilienne sont nombreux, mais ses opportunités le sont tout autant. Jamais la gauche n’a été aussi proche de converger autour d’un programme féministe et anticapitaliste commun. Elle a réussi à transformer la Convention constitutionnelle en relais des révoltes d’octobre 2019 ; elle doit maintenant trouver un équilibre entre les manœuvres dans les sphères du pouvoir et le maintien d’une vision claire pour une société future qui servira les intérêts de la classe ouvrière.
En bref, la gauche chilienne a démontré le pouvoir de la révolte et doit maintenant faire face à son plus grand défi : peut-elle prendre les rênes du pouvoir et transformer la contestation du système économique hérité de Pinochet en un mouvement majoritaire pour une société radicalement différente
Pour que la gauche saisisse cette opportunité historique, elle devra faire plus que simplement exercer une pression au sein de la Convention constitutionnelle. Divers secteurs de la gauche et des mouvements sociaux ont appelé à des mobilisations populaires dans la rue afin « d’assiéger » la Convention et de s’assurer que le processus ne contourne pas la volonté du peuple. Dans les jours et les semaines à venir, les rues du Chili devront être l’expression de la même volonté populaire qui a mis en marche le processus constitutionnel.
La Convention doit être ouverte à la participation des citoyens, et offrir un espace pour les propositions et les délibérations des milieux populaires.
Le Chili a fait un pas décisif pour mettre fin à la constitution néolibérale et antidémocratique de 1980. Ses prochaines étapes doivent consister en une transformation structurelle radicale de la société, menée par le peuple et la classe ouvrière. Ce qui se passera au cours des deux prochaines années avec le développement de la Convention constitutionnelle, déterminera les futures grandes lignes politiques pour les années et les décennies à venir.
Il était bon, en ce jour anniversaire, de se remémorer ce qui fit la grandeur du gouvernement chilien sous Allende car des perspectives semblables sont désormais possibles.
Je vous remercie de votre attention.
Robert Tangre
J’ai retravaillé le texte écrit par Jacobin Mag, Pablo Abufom – 22-05-2021
et traduit par les lecteurs du site « Les-Crises » pour en rendre l’écoute plus facile par les participants à la Commémoration »Allende » le 11 septembre 2021 à Courcelles.
Bel hommage à ce grand homme!
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