Dénouement

Quand le front se stabilisa aux environs d’Aix-la-Chapelle, les Américains, par suite de leur avance foudroyante, avaient à pied d’œuvre, de puissantes unités blindées mais l’artillerie leur faisait défait. Les transports étaient accaparés par l’approvisionnement des monstres d’acier avides d’essence et de munitions. L’infanterie suivait mais loin derrière …
Une formation de P.A. se mit à la disposition de alliés et fut engagée dans le secteur d’Aix-la-Chapelle en remplacement des F.F.I. qui, accompagnant les Américains depuis la libération de Paris, avaient bien mérité la relève. D’accord avec l’Etat-Major américain, les partisans poussèrent de nombreuses pointes à l’intérieur de la ville. Avec l’appui de l’artillerie, ils continrent une violente contre-attaque allemande et perdirent quinze hommes au cours de cet engagement.
On s’étonnera peut-être du nombre peu élevé de victimes dans un combat où des soldats d’occasion devaient affronter des armes modernes les plus meurtrières. Qu’on ne s’y trompe pas. Nos hommes étaient aguerris, bien disciplinés et leurs chefs jouissaient d’une grande expérience, expérience acquise au cours de quatre années de lutte clandestine puis dans le maquis et aussi sur d’autres champs de bataille où ils avaient combattu le fascisme que nul, alors, ne voulait voir …
Après avoir servi dans le secteur d’Aix-la-Chapelle, pendant cinq jours, les partisans furent, à leur tour, relevés par les F.F.I. Puis un roulement s’établit et nos patriotes et leurs camarades français alternèrent sur les positions jusqu’à l’arrivée des renforts américains.
Cependant, du centre du pays, d’autres colonnes couraient à l’ennemi. L’une d’elles, formée d’une partie du Corps 004 de Bruxelles, de groupes envoyés par le Corps 035 du Limbourg et du bataillon de Geel, devait s’illustrer à Arendonk. Une autre composée d’éléments venus de Gand et d’un autre groupe de Bruxellois marche sur Anvers. Quant à la troisième, baptisée Tito, elle prit position dans le nord de la Flandre Orientale.
Chacun sait la part que ces troupes ont prise en collaboration avec l’armée canadienne et avec d’autres groupes de résistants, au nettoyage des bouches de l’Escaut, à la prise du port d’Anvers et à la libération des derniers villages belges occupés par l’ennemi.
Jetons un regard en arrière sur une page de cette histoire glorieuse. Elle nous paraîtra plus claire parce que dégagée de l’enthousiasme général qui enfiévrait les esprits au cours de ces journées mémorables.
C’était le 28 octobre 1944, aux environs d’Ertveld, dans le nord de la Flandre Orientale. Nous étions à proximité du poste de commandement. La bataille faisait rage vers le nord-ouest. Les vitres vibraient sinistrement. La canonnade s’amplifiait.
Dans un va-et-vient continuel, des estafettes motocyclistes assuraient la liaison, la transmission d’ordres et de rapports. On pressentait une grande chose …
Le camarade Van Onsem, commandant les P.A. demeurait en étroite collaboration avec un major canadien. De grand matin, on avait appris qu’une tête de pont venait d’être étable sur le canal Léopold puis la prise de Watervlied avait été annoncée. Le village n’était plus qu’un amas de ruines, un désert chaotique.
Dans le début de l’après-midi, une attaque fut dirigée vers Waterland. Dans cette région parfois plus basse que le niveau de la mer, les pluies d’octobre et la complicité de quelques digues détruites avaient créé un véritable marécage.
Les hommes allaient à pied à travers les champs boueux. Il fallait prendre garde aux trous d’obus dont la plupart se comblaient lentement de vase et formaient autant de pièges dangereux, mortels.
Des balles sifflaient venant de partout. Les P.A. courbés étaient méconnaissables. Les vêtements collés au corps, maculés de boue de la semelle aux cheveux, ils allaient … ils allaient mal vêtus, leurs chaussures spongieuses, délabrées, buvaient l’eau par toutes les craquelures. Mais ils allaient fougueusement, pleins de foi, d’assurance. Ils tenaient l’ennemi à la gorge et n’entendaient pas le lâcher.
Dans la grisaille de cette arrière-saison maussade, des peupliers balançaient leurs têtes effeuillées…. Le froid, la boue …
Des silhouettes inattendues, figures qu’on n’évoquait plus depuis longtemps, surgirent soudain dans ce décor triste et sale. On croyait rêver … Des partisans à cheval patrouillaient dans le désert de boue.
Plus loin, aux avant-postes, il fallait redoubler de précautions. Chacun profitait de son mieux d’un abri plus ou moins efficace : un fossé, un saule ou ce qui restait d’une digue.
Les balles vrillaient dans l’air humide avec un miaulement inquiétant ou bien se figeaient dans le sol en éparpillant une poignée de terre. La plaine était farcie de nids de résistance hérissés de mitrailleuses et quelques tireurs isolés brûlaient leurs dernières cartouches avant de se rendre ou de … tomber.
De temps à autre, un homme s’écroulait sans un cri, mais avec un bruit mat et un cliquetis d’armes. Des camarades s’élançaient. Le blessé était rapidement évacué vers l’arrière. Parfois aussi, hélas, les brancardiers s’en allaient n’ayant plus rien à faire auprès d’un corps sans vie.
Brusquement, le front tout entier s’embrasa … L’artillerie déclenchait son tir et les chars canadiens entraient dans la danse. Dans les intervalles, les P.A. progressaient.
Les nids de résistance étaient âprement attaqués et réduits l’un après l’autre. Les Allemands s’acharnaient dans une lutte désespérée et se laissaient cloués à leurs pièces.
Mais déjà, là-bas, les chars débordaient le village. Des patrouilles de P.A. se glissaient entre les maisons. Des explosions de grenades ponctuaient le bruit de crécelles des mitrailleuses. Le nettoyage se fit rapidement et les prisonniers, les mains croisées sur la nuque, furent envoyés vers Watervlied.
Quand Waterland fut complètement dégagé, l’avance se poursuivit vers Sainte-Marguerite. Un feu roulant très meurtrier, bloqua soudainement les troupes harassées. Une ligne de tranchées barrait la plaine aux approches d’une bâtisse qui semblait abriter un groupe d’ennemis décidés.
Aplatis dans la boue, les P.A. faisaient le coup de feu et repéraient l’emplacement exact de l’obstacle avant de solliciter l’appui du canon. Une compagnie entreprit, en rampant, l’encerclement de la ferme. C’est alors que les Allemands occupant la tranchée se rendirent. Le dernier, un feldwebel, leva les bras. Un brave partisan, Jean Verpalt, marcha vers lui. Mais le boche saisissant l’arme qu’il dissimulait traîtreusement, étendit raide mort d’une balle dans la tête le malheureux P.A. trop confiant.
Cet acte inqualifiable enflamma la colère de nos hommes. Mais le bandit, échappant à la fusillade, s’enfuit vers la ferme Joséphina où il trouva refuge auprès des derniers défenseurs.
Les partisans achevèrent avec succès l’encerclement de la bâtisse. On fit alors appel aux tanks mais les lourds blindés s’embourbaient dans les champs détrempés. Il fallut donc recourir à une autre tactique. Les tireurs les plus avancés criblèrent de balles portes et fenêtres mais l’ennemi obstiné rendait coup pour coup. Pour le mettre à la raison, on eut alors recours aux grands moyens.
L’artillerie, alertée, déclencha un tir écrasant et après quelques minutes, l’immeuble tout entier s’écroula, ensevelissant sous ses ruines les assassins entêtés.
La nuit vint. Les partisans exténués se reposèrent après avoir dénombré les prisonniers cueillis autour de la ferme. Il y en avait vingt-cinq.
Dans l’obscurité, on entendait au loin, le bruit d’une troupe en marche et le grondement de chars s’éloignant vers le nord : les renforts arrivaient en masse !
Le jeudi 29 octobre à la pointe du jour, un ciel blafard recouvrait l’immense champ de bataille. Les bruits s’éteignaient pour se reporter plus loin, là-bas dans la grisaille de l’autre côté de la frontière.
Un peu plus tard, les combattants apprirent la libération de Sainte-Marguerite, le dernier village belge foulé par les Nazis.
C’était le couronnement de l’épopée admirable courue par ces soldats formés dans l’ombre, au cours des années écrasantes et sortis vainqueurs d’une lutte qui nous a montré ce que peuvent réaliser les hommes de bonne volonté, les hommes qui veulent vivre libres.
Episode suivant : « En tournant les pages ».