L’armée belge des partisans armés (suite LXXIX)

                                                                                                                                                                               Comment on devient illégal (suite) .

Deux jours après ce que nous appellerons sa réhabilitation, S … fut à nouveau victime d’une aventure scabreuse.

L’homme était sans nouvelles de sa femme qui avait dû, elle aussi, entrer dans l’illégalité où elle assurait un service de courrier. De nouvelles arrestations ayant été opérées, notre ami s’inquiétait à juste titre. Qui ne s’inquiéterait pas au sujet d’un être cher voué à tous les risques dont on connaît par soi-même les rigueurs ? Or donc, un beau jour, S … rentra dans son appartement de fortune, vida ses poches de leur contenu compromettant : révolver, papiers, etc. … et ressortit aussitôt.

Tout comme un paisible promeneur, il se dirigea vers la chaussée d’Alsemberg, là où il allait avoir le plus de chance de rencontrer sa femme. Arrivé au coin de la chaussée de Waterloo et de l’avenue Legrand, il s’arrêta un instant et regarda les passants, heureux promeneurs sortant de la ville. A ce moment, le partisan avait perdu toute notion du danger. N’était-il pas bien à l’aise, munis de papiers d’identité parfaitement rédigés ? N’avait-il pas l’impression d’attendre sa femme pour l’accompagner ensuite à la campagne ? Il faisait si bon vivre.

Tout à sa rêverie, l’homme vit à peine une voiture de la Gestapo s’arrêter à quelques mètres de lui. Un individu sortit de la voiture et traversa la rue. S … s’en souciait bien peu. Il soupira et passa de l’autre côté de la rue, lui aussi.

 L’emboché emprunta la rue Van der Kindere. Au coin de cette même rue, S … s’arrêta une fois encore, insoucieusement. Quelques pas plus loin, l’inconnu s’était arrêté en face de la résidence « Californie « de sinistre renommée et s’efforçait d’introduire une clé dans la serrure. La porte s’ouvrit mais avant d’entrer l’homme jeta un coup ‘œil en arrière. Il vit S … qu’il avait déjà remarqué à l’autre coin de la rue. Défiant, il s’élança vers notre ami :
«  Où allez-vous, rugit-il ? 
– Mais, comme tout le monde, nulle part et partout, répondit S … un moment interloqué mais sûr de lui.
– Venez avec moi ! »

Jouant l’indifférence, le partisan entra dans le guêpier. Avec aplomb, il répondit à l’interrogatoire mené par le traître qui n’était autre que Jacques, le fameux dénonciateur, responsable de la mort de tant de Juifs.
« Levez les bras ! »

Comment le chenapan y pensait-il si tardivement ? Il avait sans doute perdu son sang-froid en croyant voir un justicier sur ses talons : le manège innocent du patriote lui avait rappelé que deux fois déjà, on avait tenté de l’abattre.

S … subit la fouille en souriant : il avait l’air de dire : « Vas-y, mon vieux, tu ne trouveras rien et tu peux vérifier, mes papiers sont authentiques. »

A la longue, le bandit congédia le partisan. S … sortit sans se presser et se dirigea sans se retourner vers la place Van der Kindere. Pourtant, un doute l’obsédait… Peut-être avait-on lancé un espion sur sa piste ? Dans cette éventualité, il s’agissait de semer le limier.

Tout à coup, au moment où il arrivait à proximité du point d’arrêt des tramways, S … aperçut W …, un autre P.A. venait à sa rencontre. Tonnerre ! Il fallait éviter cela. Notre homme bondit derrière le kiosque à journaux et le contourna suivi de son ami qui n’y comprenait rien.

Un tram ! S … sauta sur la plate-forme avant, W … survint juste à temps pour sauter sur la plate-forme arrière. Entre deux arrêts, S … bondit sur la chaussée, il put conserver l’équilibre et s’arrêter après une course de vingt-cinq mètres.

Il revint à toute vitesse vers la place, bondit sur un tram roulant vers Uccle… Trois arrêts plus loin, il descendit et bifurqua vers la ville. Il accomplit alors un large circuit. Certain d’avoir éliminé un éventuel mouchard, il s’empressa de « toucher » son courrier, lui enjoignit d’avertir tous les camarades et convint d’un rendez-vous pour le lendemain. Ensuite, il regagna dare-dare son appartement, fit sa valise, enleva ses lunettes, rogna sensiblement sa moustache puis, méconnaissable, dévala l’escalier. Le traître de la rue Van der Kindere connaissait son adresse et s’il s’avisait d’y ordonner une perquisition …

 S … trouva heureusement refuge dans un hôtel dont le patron et tout le personnel professaient un patriotisme à toute épreuve. Mais, le lendemain, un blâme sévère attendait le partisan. Le Commandant national lui reprocha vivement son imprudence.

Après être demeuré quelques jours en suspens, S … fut envoyé à Charleroi avec le grade de Commandant de Corps. Ceci alors que, coup sur coup, deux commandants Hernalsteen et Pierre Berndt, venaient de tomber aux mains de l’ennemi. A n’en pas douter, il y avait là-bas un dénonciateur introduit dans la place. S … devait tout d’abord s’atteler à le démasquer et, quoique ayant toujours espéré obtenir le commandement d’un groupe mobile, il partit pour Charleroi le 15 mai 1944.

Le courrier qui l’accompagnait connaissait la région pour y avoir servi au temps du commandant Mathieu Bielen et pouvait, immédiatement, mettre le nouveau chef en rapport avec les éléments dispersés.

Aux yeux de tous, S … fut le responsable des cadres. Le chef du corps restait dans l’ombre. Le courrier fidèle, une femme, fut seule à connaître le double rôle que jouait le partisan.

S … se consacra au regroupement des entités éprouvées, démasqua le mouchard, assura la sécurité de ses gens et entreprit bientôt une violente campagne de sabotage et de répression.

Chacun connaît le bilan à l’actif du Corps 024. Est-il nécessaire de rappeler ses exploits ? Qui ne se souvient de cette nuit de 1944 où Charleroi fut pratiquement isolée du réseau ferroviaire. La même nuit, à la même heure, les lignes Charleroi-Bruxelles, Charleroi-Erquelinnes, Charleroi-Namur sautaient et des ponts s’effondraient.

Les exploits qui servirent à ce dynamitage provenaient d’un charbonnage d’Anderlues. On avait d’abord tenté de s’approprier les explosifs d’un charbonnage de Couillet mais, au moment d’arriver sur les lieux, un coup de révolver partit accidentellement au passage d’un réseau de fils barbelés. La balle trancha net la semelle du soulier d’un P.A. qui en fut quitte avec une légère éraflure à la plante du pied. Mais l’alerte était donnée et l’entreprise échouait.

On choisit alors le charbonnage d’Anderlues. Le machiniste d’extraction donna aux P.A. toutes les instructions désirables et effectua courageusement les manœuvres de la cage. Quatre hommes descendirent et rencontrant dans la mine un ingénieur un peu trop zélé à leur guise, lui ordonnèrent de participer au transport des explosifs.

A noter que l’opération eut lieu en plein jour, au début de l’après-midi. Emportant leur butin dans une voiture d’ambulance appartenant à l’établissement, les P.A. au retour, poussèrent l’audace jusqu’à procéder à la réquisition de beurre, de lard, … chez un fermier assez mal considéré puis ils distribuèrent ces vivres à la population enchantée de l’aubaine et qui ne ménagea pas ses applaudissements à l’adresse des patriotes. Cet exploit peut paraître incroyable et pourtant les preuves abondent à ce sujet. Pour en juger, il suffirait de consulter les dossiers du Conseil de Guerre de Charleroi établis après la Libération.

Depuis fin mai jusqu’au 13 juillet : cent trente-sept traîtres parmi lesquels huit membres de la police, 50, furent exécutés par les partisans de Charleroi. Tout cela en dehors des sabotages tels que celui de la cabine d’aiguillage de la Sambre, des ateliers de Lodelinsart et de tant d’autres qu’il nous est impossible de détailler.

Quand sonna l’heure de la libération, S … mobilisa tous les groupes du Corps 024 afin de procéder à l’encerclement de Charleroi, ceci en prévision d’une résistance ennemie sur la Sambre.

Les groupes des localités proches de la ville étaient alertés sur place : celui de Walcourt effectua un long déplacement et se concentra sur Marcinelle tandis que celui de Fontaine-L’Evêque se rapprochait insensiblement de Charleroi sans toutefois pénétrer dans la ville.

Les Allemands évacuèrent la région avec un empressement imprévu. Cependant, le groupe de Fontaine-l’Evêque se heurta à deux véhicules blindés de la Wehrmacht. Au cours de la bagarre qui résulta de cette rencontre, un P.A. fut blessé et trois Allemands tués. L’auto et la chenillette restèrent aux mains des patriotes.

Puis, ce fut l’arrivée des Américains mais la poche de Compiègne, en se résorbant, laissait échapper des groupes d’Allemands qui se glissaient à travers bois en direction de l’est. Les partisans participèrent activement au nettoyage de la région. On les vit à l’œuvre dans le bois de Farciennes et jusqu’aux environs de Sauvenière où la lutte fut très vive et meurtrière.

Le groupe de Walcourt peut revendiquer le titre d’avoir capturé le plus grand nombre de prisonniers rassemblés par les P.A. au cours de ces opérations de nettoyage.  Cela démontre bien que les partisans qu’ils furent de la ville ou d’un coin quelconque de nos campagnes se dépensèrent sans compter dans l’effort général pour l’écrasement du nazisme.

Prochain épisode : « Hallali »

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