Le 20 avril 1914, les mineurs de Ludlow en grève sont massacrés

Après plusieurs mois de grève sur ce site du Colorado appartenant à Rockefeller, la garde nationale et des nervis payés par les patrons de la mine attaquent le camp retranché des mineurs. Une des plus violentes luttes entre les travailleurs et le capital dans l’histoire des États-Unis.

C’était un matin d’avril, un lendemain de Pâques, cette fête que célébraient nombre des immigrés grecs de Ludlow (Colorado). Trois membres de la garde nationale étaient venus ordonner la libération d’un homme prétendument retenu contre son gré. Louis Tikas, le responsable du camp, s’était alors rendu à la gare, distante d’un kilomètre, afin de rencontrer le commandant du détachement. Pendant leur rencontre, deux compagnies installèrent des canons sur une crête dominant le camp de mineurs. Tikas sentit le coup fourré et retourna auprès des siens. Le feu fut déclenché peu après.

La bataille dura toute la journée. Des gardes sans uniforme, payés par les patrons de la mine, vinrent renforcer les miliciens du lieutenant Karl Linderfelt. Alors que le soleil se couchait, le passage d’un train permit à un certain nombre de mineurs de prendre la fuite. Quelques minutes plus tard, la soldatesque s’empara du camp. Louis Tikas fut arrêté en compagnie de deux autres mineurs. Son corps fut retrouvé le long de la ligne de chemin de fer. Il avait été abattu dans le dos. Sa dépouille resta trois jours de suite à la vue de tous, passagers des trains qui circulaient et résidents. Il fallait faire un exemple. Avec le leader syndicaliste, deux femmes, douze enfants, cinq mineurs et syndicalistes et un garde furent tués ce 20 avril 1914 à Ludlow, terme, selon Howard Zinn, de l’une des « plus amères et violentes luttes entre les travailleurs et le capital dans l’histoire de ce pays ».

Tout avait commencé en septembre 1913. Les 1 100 mineurs de la Colorado Fuel and Iron Corporation, détenue par la famille Rockefeller, se mirent en grève après le meurtre d’un syndicaliste. Ils ajoutèrent à leurs revendications une augmentation des salaires, la journée de huit heures de travail, la reconnaissance du syndicat et la fin du contrôle total de leur vie par la compagnie, qui en fit aussitôt démonstration, en les expulsant de leurs baraquements. Avec l’aide du Syndicat uni des mineurs (United Mine Workers Union), les grévistes dressèrent alors des tentes sur les collines voisines. Rockefeller embaucha les cerbères de l’agence de « détectives » Baldwin-Felts, spécialisée, tout comme l’agence Pinkerton, dans la répression syndicale. Une première « descente » échoua à briser le mouvement, malgré plusieurs morts dans le camp des grévistes. Le milliardaire Rockefeller se tourna alors vers « notre cher petit cow-boy de gouverneur » qui, ni une ni deux, fit appel à la garde nationale, créée en 1903. Les grévistes l’accueillirent avec acclamations et drapeaux au vent. Ils pensaient que la réserve de l’armée des États-Unis était venue pour les protéger… Ils déchantèrent rapidement lorsque les soldats attaquèrent le camp, arrêtèrent des centaines de mineurs et les firent parader, comme des prises de guerre, dans les rues de Trinidad, la ville la plus proche. Le mouvement tint pourtant bon tout l’hiver, jusqu’au 20 avril 1914, où il fut décidé d’en finir avec ces ouvriers rebelles. La réaction au massacre de Ludlow fut immédiate. À Denver, le syndicat des mineurs lança un « appel aux armes ». Trois cents mineurs rescapés s’armèrent et, à Ludlow, coupèrent le téléphone et le télégraphe, se préparant à la bataille. Les cheminots refusèrent d’emmener les soldats sur place, tandis qu’à Denver, ce sont des soldats eux-mêmes qui mirent l’arme au pied.

La trace de Ludlow dans les consciences

Ce n’est désormais plus qu’une ville fantôme, comme on en voit dans les westerns. Il n’y a plus rien à Ludlow qu’un monument en granit à la mémoire des mineurs, reconnu comme un site historique national (National Historical Landmark) en 2009. Propriété du syndicat des mineurs UMWA, Ludlow a laissé une trace dans l’histoire, même si les premiers temps conduisirent à ensevelir les victimes dans l’oubli. Ayant senti le vent du boulet de la révolte sociale, Rockefeller accepta plus tard un certain nombre de mesures : représentation syndicale, non-discrimination des syndiqués. Ludlow laissa également une trace dans les consciences en devenant, selon la formule d’un historien, « une centralité saisissante dans l’interprétation de l’histoire de notre nation, développée par plusieurs penseurs de gauche d’importance du XXe siècle ». Parmi ceux-ci : Howard Zinn, l’historien, et Georges McGovern, le très progressiste candidat démocrate à l’élection présidentielle de 1972.

Extrait de l’Humanité

Laisser un commentaire