L’armée belge des partisans armés (suite XXIV)

Le partisan envoyé comme éclaireur est surpris par un policier courcellois

Mais les autres partisans considérant que tout ménagement était devenu inutile accouraient tumultueusement à la rescousse. Malheureusement, le premier policier s’était rapidement remis de son léger étourdissement. Il avait rampé quelques mètres puis, brusquement, avait bondi, franchi la grande porte et il avait traversé la place en hurlant afin d’ameuter le quartier. Plus rapides, deux partisans l’avaient suivi tandis que les autres ligotaient leur prisonnier. Le fuyard fut rejoint après une course de cent cinquante mètres. On le força au silence et deux solides poignes le ramenèrent auprès de son camarade déjà réduit à l’impuissance. Par chance, ses appels n’avaient pas été entendus et après quelques minutes d’attente anxieuse, les partisans respirèrent.

Ligotés et bâillonnés de main de maître, les deux agents gardaient toute leur lucidité. En vérité, ceux-là n’étaient pas des lâches. Ils ne méprenaient pas la qualité des visiteurs nocturnes, voilà tout. Mais les partisans ne pouvaient tout de même pas dévoiler leur identité. Deux hommes apportèrent l’outillage laissé en arrière. On s’aperçut alors que l’éclairage électrique faisait défaut dans le bureau. On demanda aux agents où se trouvait le tableau de contrôle afin d’y vérifier les fusibles. Les entêtés refusèrent de donner le renseignement.

Une première tentative d’ouvrir le coffre au moyen des pinces échoua lamentablement. Autant essayer de raser une montagne avec une carte à jouer. Sur un nouveau refus des agents et ne pouvant se disperser à la recherche du tableau, les partisans employèrent les grands moyens. Ils arrachèrent quelques mètres de fil isolé composant l’installation électrique et procédèrent rapidement à une prise de courant dans la salle voisine.

Sous le regard narquois de leurs prisonniers, les partisans travaillaient. Au bout de trois quarts d’heure, ils réussirent à raccorder à la ligne ainsi créée la foreuse électrique qui devait avoir le dernier mot. Les deux policiers en étaient médusés. L’ingéniosité, le calme et l’audace de ces hommes leur paraissaient d’une classe éloignée de la vulgaire canaille.

Un ronronnement doux à l’oreille des partisans remplit la pièce. La pointe diamantine s’approcha du coffre. Le ronronnement s’intensifia et un crissement métallique lui fit chœur. La mèche avait mordu dans le blindage.

Les partisans rayonnaient. Ils viendraient à bout du coffre, ce n’était plus qu’une question de temps. Deux hommes travaillaient à la fois, les autres veillaient. Cela faisait trois équipes se relayant toutes les quatre minutes environ.

Après une heure d’efforts, les hommes eurent raison de la masse : le secret disloqué s’abandonna, ses griffes inutiles lâchèrent prise et sortirent des gâches. La porte blindée s’ouvrit silencieusement.

Les liasses de timbres étaient là, soigneusement empilées. Ni l’heure, ni le lieu n’étaient propices à l’inventaire. Aussi, les petites vignettes rouges artistiquement numérotées furent-elles entassées par centaines, par milliers dans une valise apportée à cet effet. Puis les partisans remballèrent leur outillage.

Les agents n’avaient pas fait un mouvement. Ils avaient perdu leur assurance du début. Toutefois, les recommandations qui leur furent faites ne parurent pas les toucher. D’ailleurs elles ne leur étaient destinées que pour la forme ; les prisonniers étant dans l’impossibilité eux-mêmes devraient attendre l’arrivée de leurs collègues avant de recouvrer la liberté de parole et de mouvement.

A trois heures du matin, les partisans se disposaient à quitter les lieux, ils enveloppèrent le bureau d’un dernier regard circulaire. Sur la table, une machine à écrire étalait ses touches blanches. Heurtée au passage, elle jeta un reflet argenté. Le rayon provoqué frappa-t-il l’esprit du partisan ? En tout cas, l’homme se dit que cette machine servirait avantageusement à taper les ordres et les rapports de la résistance. Et la petite « Mercédès » fut arrachée à son triste milieu. Elle aussi avait pris le maquis.

Empruntant les chemins détournés, les ruelles, les entiers, les partisans lourdement chargés, épuisés par le travail extraordinaire qu’ils venaient d’accomplir, transportèrent en lieu sûr leur butin de prix. Les deux hommes qui avaient fait le trajet de Bruxelles tombaient de sommeil et pourtant, ils n’étaient pas au bout de leur peine.

Les timbres furent provisoirement cachés mais, dès le soleil levé, on fit le compte : douze mille six cents feuilles dont deux mille six cents furent réservées aux familles des partisans fusillés ou déportés et aux réfractaires. Mais il fallait transporter à Bruxelles les dix mille feuilles qu’on ne pouvait pas écouler dans la région.

Ce déplacement représentait de sérieux dangers. En effet, tous les postes de police et de gendarmerie, alertés, exerçaient une surveillance vigilante. Comme les rexistes et les Allemands s’intéressaient à l’histoire, une bonne dose de courage était requise pour se mettre en route, se risquer dans les gares et dans les trains, porteur d’un paquet qu’un contrôleur indésirable aurait pu faire ouvrir sur le champ. Les partisans effectuèrent deux voyages afin de réduire le volume des paquets et aussi, s’assurer une réserve au cas où la première expédition aurait été interceptée.

Tout se termina le mieux du monde et, dans la soirée du mercredi, les partisans touchaient le montant de la vente des timbres soit deux millions de francs.

Cette somme fut entièrement consacrée à la bonne cause. On augmenta les secours aux victimes de la répression allemande. De nouvelles recrues furent incorporées. Les partisans qui devaient se déplacer fréquemment reçurent des vêtements convenables et abandonnèrent les costumes misérables qui attiraient plus particulièrement l’attention. Les déplacements même, furent particulièrement facilités. On put se créer des relations dans tous les milieux, ménager des retraites sûres, étendre sur tout le pays les ramifications de l’Armée des Partisans et intensifier ainsi l’activité du mouvement. Les sabotages prirent un extension insoupçonnée jusqu’alors et les hommes rivalisèrent d’audace car ils ne combattaient plus en parias mais en soldats et sûrs de l’ordinaire.

Tous ces garçons courageux envisagèrent l’avenir avec confiance. Qui aurait pu leur en vouloir de s’octroyer un subside lequel s’il n’était pas régulier n’en était que plus justifiable.

Il était bien plus commode de dormir dans son lit et d’entretenir ses petites affaires sans qu’il fut nécessaire de recourir aux moyens extrêmes pour se conserver la vie…

A paraître d’ici peu : « le désastre »

avec François DRUINE, l’ancien commissaire de police de Courcelles                                                                                                                                                                                                                                                                   

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