Rappel: nos partisans reviennent de Bruxelles avec une foreuse pour ouvrir le coffre-fort de la maison communale.
Vers onze heures du soir, trois hommes tapis contre une clôture près de la gare de Courcelles-Motte, attendaient l’arrivée du dernier train venant de Bruxelles. Avec un long retard, le convoi presque invisible s’amena à une allure modérée. Parmi les voyageurs quittant la gare et pressés de rentrer chez eux se trouvaient deux hommes qui hésitèrent un moment puis résolument, s’enfoncèrent dans l’ombre plus épaisse où les trois hommes se signalèrent à leur approche.
Les deux partisans apportant le matériel qu’ils venaient d’acquérir à Bruxelles reconnurent trois de leurs camarades. Ils arrivaient juste à temps pour accomplir l’attaque projetée… Malgré la fait que, les hommes décidèrent d’agir le soir même car le lendemain, l’affaire aurait été moins avantageuse par suite d’une seconde distribution de timbres.

A onze heures trente, les cinq compagnons se mirent en route. Quinze minutes plus tard, ils arrivèrent sur la place du Trieu où un autre partisan les attendait. Ce dernier avait eu pour mission de surveiller les abords de l’hôtel de ville. Rien d’anormal ne s’était produit. Seuls, les deux agents de garde se trouvaient à l’intérieur de l’immeuble. A cette heure-là, sans doute étaient-ils en train de somnoler dans les fauteuils du bureau de police. Presque minuit … l’instant propice. Mais tout à coup, une patrouille déboucha de la rue de Marchienne obligeant les hommes à s’éclipser dans les encoignures. Allemands, gardes ruraux, agents de police ou gendarmes ? Poursuivant leur ronde, les inconnus passèrent à distance.
Le chemin était libre. Les six partisans en profitèrent pour s’approcher de l’hôtel de ville. L’un d’eux alla droit à un soupirail, passa le bras dans le vide d’un carreau brisé et fit jouer l’espagnolette. Puis, l’un après l’autre, les hommes se glissèrent par l’ouverture et sautèrent lestement sur le carrelage de la cave … De brefs et rares éclairs des torches leur indiquaient le parcours à suivre et les obstacles à éviter pour gagner l’escalier… Avec mille précautions, s’éclairant le moins possible, se guidant en frôlant de leurs mains la muraille rêche et froide, ils avancèrent. A la queue leu-leu, ils montèrent l’escalier… débouchèrent derrière la scène de la salle des fêtes…
Une latte de plancher craqua légèrement. Oh ! quel bruit déplaisant, si menu mais si perçant aux oreilles de nos hommes !
Les masques ! On approchait du but : les torches furent enfouies au fond des poches et on sortit les révolvers. A quatre pattes les partisans entreprirent la traversée de la salle des fêtes. Ils tâtonnaient, se cognaient légèrement aux fauteuils avant de se traîner sur les genoux un pas plus loin. Un chuchotement, comme un souffle fut passé d’homme à homme. Les deux premiers du groupe se détachèrent, poursuivirent seuls leur avance. Les autres attendaient en se faisant tout petits, tout petits.
Au fond de la salle, les deux éclaireurs trouvèrent une porte qui s’ouvrait sur un couloir long et obscur. Un silence angoissant régnait dans tout l’édifice… et pourtant, deux hommes veillaient là dans le bureau et deux autres hommes s’approchaient avec de ruses de Sioux. Encore quelques minutes et l’affaire prendrait une autre allure !
L’un des partisans parcourut, seul, la distance qui séparait le bureau de la salle des fêtes. Son compagnon retourna en arrière chercher le reste du groupe. Le silence se fit plus impressionnant encore pour le patriote demeuré seul. Il s’était relevé, révolver au poing et, collé contre le mur, il ne quittait pas des yeux le point où il devinait la porte du bureau dans lequel ne se révélait pas la moindre trace de vie. Qu’est-ce que cela voulait dire ? Pourtant, on ne s’était pas trompé. C’était bien là le bureau de police, là qu’un stupide coffre-fort couvait les papiers desquels dépendait la subsistance des partisans armés.
Tout à sa méditation, l’homme ne prit point garde, tout d’abord au bruit de pas pressés éveillant tout à coup les échos de l’immense intérieur. Quand il en fut frappé, il crut à l’arrivée de ses camarades et il se dit qu’ils se déplaçaient bien rapidement et en négligeant toutes précautions. Il se retint de lancer un rappel à l’ordre mais, comme il se tournait dans la direction du bruit, un faisceau éblouissant lui inondait le visage.
Aveuglé, clignant des yeux il joua le tout pour le tout et, braquant son révolver, il cria : « Haut les mains ! ». La sommation se termina dans un hoquet car un coup violent en pleine poitrine jeta le partisan sur le sol. Mais il avait lancé la main en avant, happé l’assaillant et il l’entraîna dans sa chute. C’était l’un des deux agents de garde que le hasard capricieux avait incité à sortir quelques secondes avant l’arrivée des partisans. Comme il venait reprendre son poste, le policier était tombé sur l’homme de faction. Nullement intimidé à la vue du révolver, il avait foncé tête baissée. Mais le voici qui se tordait et essayait de se dégager de l’étreinte.
De son côté, le partisan comprit qu’il avait affaire à forte partie. D’un coup de crosse de son G.P. appliqué sur la nuque sans trop de violence, il étourdit son assaillant puis, d’un coup de reins, il se remit sur pieds. Le deuxième agent alerté ouvrit la porte du bureau. Le partisan lui enfonça le canon de son arme au creux de l’estomac. Le drame se poursuivait dans l’obscurité à peine réduite par la clarté d’une veilleuse éclairant le bureau. Rappel: nos partisans reviennent de Bruxelles avec une foreuse pour ouvrir le coffre-fort de la maison communale.