La Belge histoire de la semaine est celle de Denis Uvier, un ancien SDF qui consacre sa vie à aider ceux qui, comme lui, se sont retrouvés à la rue. Un véritable ange gardien qui sait que dans la vie, tout peut basculer du jour au lendemain. Qui sait aussi que l’espoir est parfois à portée de main. Depuis plus de 25 ans, Denis Uvier s’occupe des oubliés du système. Il a 61 ans.

Maintenir le lien
Dans les rues de Charleroi, il veille sur les plus démunis. Éducateur de rue pour l’association Solidarités Nouvelles, il connaît tous les recoins où s’abritent les SDF et pour cause : lui aussi a connu la rue. Depuis qu’il en est sorti il y a près de 30 ans, il se dévoue au quotidien pour ceux qui en ont besoin. Lors de ses tournées, il s’arrête auprès de chaque sans-abri pour s’inquiéter de son état, savoir s’il a fait les démarches conseillées, s’il a besoin d’une couverture ou d’un matelas. Denis tente de maintenir le lien avec ceux qu’il appelle encore ses copains.
Parmi eux, nous rencontrons Jean, sans-abri. « C’est normal que les citoyens en ont ras le bol de nous, a-t-il envie de nous confier, parce qu’ils nous mettent tous dans le même sac. Mais il ne faut pas tous nous mettre dans le même sac, on n’est pas tous des « barakies ». On peut être des gens civilisés qui peuvent faire partie de la société. Denis c’est un bon type, c’est grâce à lui que j’ai une tente. Sinon je serais encore à la pluie, trempé comme un canard« .
Distribution de tentes : la solution temporaire
Des tentes, Denis et l’association pour laquelle il travaille en ont distribué 60 depuis septembre. En dehors du centre, cachées dans les bois, elles constituent des solutions temporaires en attendant de trouver mieux. Yves et Didier vivent dans un petit campement depuis quatre mois dans des conditions précaires. Une vie à la marge, un choix parfois nécessaire. « Les abris de nuits je n’aime pas, précise Didier. Il y a des drogués, des voleurs… puis il faut s’inscrire, avoir une place. On ne peut pas dormir tous les jours, on a droit à un quota de nuits. C’est difficile« .
J’ai été comme eux
Denis s’assied, discute, aide les sans-abris dans leurs démarches administratives. Grâce à son passé, il sait mieux que personne gagner la confiance de ces hommes.
« J’ai été comme eux, j’ai été pire qu’eux peut-être parfois, explique Denis. Mais j’ai entendu la petite voix, celle qu’on n’écoute plus, qui m’a sauvé. Quand j’étais au rond-point du Marsupilami, je voyais les voitures tourner. J’avais tellement bu que je me disais : « A la prochaine voiture qui passe je vais me jeter. Mais cette petite voix venait me dire et si jamais, tu survis et que tu tues le conducteur et qu’il a des enfants ?‘ Quelle chance d’avoir eu cette réflexion« .
Fracture sociale
Sa vie bascule à 19 ans après une rupture amoureuse. Le jeune Denis n’a plus confiance en lui ni en personne. Le début de six ans de vagabondage. Entre alcool, petits boulots ou petits vols pour se nourrir, il se réfugie souvent dans un parc au Nord de la ville pour échapper à la police.

« Je venais me mettre dans les arbres avec une bâche et je m’attachais avec une grande ceinture, raconte Denis. Tu ne dors pas vraiment, tu restes en état de veille, et en même temps t’es planqué. La fracture, c’est très facile. On s’aime et on ne s’aime plus, c’est aussi simple que ça. Puis on se rend compte qu’on est con, mais on ne va pas le dire« .
Militantisme et nouvelle vie
Puis en 1993, il pousse les portes d’une association carolo qui milite pour le droit au logement. Le fondateur l’engage et dans son petit bureau, Denis retrouve de l’énergie. Une nouvelle raison d’être aussi : aider les plus faibles. Il sera alors de tous les combats. Il apparaît dans les médias, irrite les autorités politiques, organise des campements sur un terril, ou des manifestations bruyantes, construit des cabanes pour les sans-abris. Un activisme inébranlable aujourd’hui encore.
« On n’a pas le droit de se décourager, insiste l’éducateur. On se retrouve face à des barrières qu’on nous impose. Jusqu’au jour où on se dit on ne va pas passer au-dessus des barrières, il y a moyen de les contourner« . Alors inlassablement, Denis continue ses tournées. Des kilomètres parcourus à pied chaque jour pour venir en aide à ceux qui en ont le plus besoin. En ville ou en périphérie, dans les parcs ou sous les ponts, il veut être là pour tendre une main, même dans les cas les plus désespérés. Aujourd’hui, il assume son passé.
Utiliser ses faiblesses pour faire un mieux
« Il n’y a pas de honte en tout cas, constate-t-il. Le plus riche des hommes peut être le plus pauvre le lendemain. Mais la leçon que j’en ai tiré, c’est qu’on peut utiliser ses faiblesses, ses accidents de parcours, pour faire un mieux, et pas pour soi-même tout seul« .
L’heure de la retraite sonnera bientôt, mais dans trois ans, pas sûr que Denis pourra abandonner ses copains. Aujourd’hui, il a retrouvé une vie stable et même l’amour, mais jamais il n’oubliera d’où il vient.
Sarah
Heinderyckx
Extrait du site de la RTBF