
La surenchère sécuritaire qui nous vivons depuis plusieurs années est une conséquence directe de cette démagogie. Elle donne du crédit aux discours extrémistes en ce qu’elle propose des réponses aux questions telles qu’elles sont posées. Elle fuit la complexité du réel et nie les mécanismes déterministes et de reproduction à l’œuvre dans la société. Elle tait les rapports systémiques de domination et les renforce. Elle désengage la responsabilité collective des crises pour désigner des boucs émissaires dans le visage de l’étranger, de l’immigré pauvre, du musulman.
Le bouc émissaire devient coupable malgré lui. Une culpabilité d’autant plus facile à projeter qu’elle vise des individus bien souvent exclus de la communauté politique, qu’elle flatte les réflexes xénophobes de notre société et qu’elle permet, par une magie discursive et sans aucun lien de causalité identifié, à ne pas devoir questionner les véritables responsabilités des crises que nous vivons. Le démagogue permet de prolonger notre système de développement pourtant manifestement en crise profonde et construit autour de lui, au fur et à mesure, un rempart législatif et exécutif anti-démocratiques où la critique devient de plus en plus périlleuse.
Le processus enclenché par la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008 a révélé des processus à l’œuvre depuis plusieurs décennies où deux grands perdants s’illustrent : la démocratie libérale et l’ouverture des frontières (ou plutôt ce qu’on pourrait appeler un devoir d’hospitalité universel, vu que si les frontières se ferment aux personnes, aucun frein n’est mis à la liberté de circulation des biens, des services et des capitaux). Les coupables, parmi lesquels les banques privées, les banques centrales, les régulateurs financiers, les économistes et la pléthore de leurs porte-drapeaux politiques, ont nié leurs responsabilités et ont capitalisé sur ces crises pour proposer d’appliquer les recettes qui en sont à l’origine.
Changer de discours. Performer
Nous sommes manifestement dans un moment d’errance politique, où l’angoisse et les peurs se traduisent en repli et s’expriment avec toujours plus de violence. Une exaspération de plus en plus tangible des peuples qui se manifestent aussi dans l’abstention, la volatilité, le vote protestataire. Ce moment d’errance, si l’on y prend garde, pourrait déboucher sur une dissolution de l’être-ensemble politique du peuple (Coussedière, Éloge du populisme, 2012).
Or, tout concours à déliter le lien social et le lien politique. C’est la conséquence même du néolibéralisme, qui façonne aujourd’hui notre rapport au monde et surtout notre rapport au collectif.
Le néolibéralisme désigne un ensemble de courants visant à corriger et revitaliser le libéralisme classique en reprenant à leur compte les critiques dont il a été la cible. Très grossièrement, il peut se réduire à deux caractéristiques principales. Premièrement, il vise à assurer la liberté du marché. Deuxièmement, à la différence du libéralisme classique, le néolibéralisme ne conçoit pas cette liberté du marché comme naturelle mais plutôt comme une utopie vers laquelle il faut tendre en orientant socialement les comportements et les attentes des individus pour les faire correspondre à un tel modèle et ainsi étendre la logique du marché à tous les champs de la vie politique et sociale. Un système de légitimation où il été admis que la poursuite de l’intérêt personnel contribue à l’intérêt général.
La montée du néolibéralisme est ainsi concomitante à la crise des institutions disciplinaires (Foucault, Surveiller et punir, 1975) : l’école, le syndicat, l’usine, l’hôpital, l’armée, etc. Notre société se désinstitutionnalise pour laisser la place à l’hyper individu, celui qui a toutes les cartes en main pour réussir, pourvu qu’il le veuille. Le mérite individuel contre l’intérêt collectif. L’effort personnel contre le travail sur les mécanismes collectifs et les déterminants sociaux.
N

L’intériorisation de cette théorie comme vérité absolue a grandement œuvrée à la légitimation des inégalités de répartition des richesses et à la réduction de l’interventionnisme étatique à certains secteurs ; les lois du marché se chargeant du reste. Si la possibilité d’ascension sociale n’est qu’illusoire, l’une des justifications de l’existence du néolibéralisme n’est pourtant autre que l’égalité des chances, une égalité prétendument assurée par la récompense de l’effort individuel. Non seulement cette égalité est fortement contestable mais elle amène qui plus est la population à vivre dans la compétition et à travailler en acceptant des pressions toujours plus fortes de la caste privilégiée, même en temps de crise comme a pu le démontrer l’abnégation générale face aux politiques d’austérité.
Aujourd’hui, le travail contre la démagogie, c’est le travail pour rendre sa complexité au réel, recréer du lien politique, reconstruire un sujet politique, re-collectiviser les enjeux de société via la mise en évidence des contingences socio-économiques qui préexistent à l’individu et qui déterminent son parcours dans la société. Avec pour cadre et horizon, la finitude du monde et de ses ressources.
Sur base de l’identification commune des responsabilités des crises que nous vivons, la construction d’une plateforme des mouvements sociaux autour d’un programme et des propositions d’actions/pratiques antiracistes, anti autoritaires et radicalement social-écologiques peut participer à l’antidote à la démagogie.
Contre le dévoiement et l’instrumentalisation des peurs, le sentiment subjectif de sécurité ne peut se construire et être garanti qu’avec les autres.