Mutineries, désobéissance et révoltes dans les tranchées de la Grande Guerre.

956-9Toute guerre a ses mutins et la Première Guerre mondiale n’échappe pas à cet état de fait. Les premiers refus d’obéissance de soldats français ont lieu dès 19141. Le contexte militaire est évidemment propice à l’émergence de ces cas d’insubordination. Ils sont d’abord la conséquence de la dureté des conditions de vie. La boue, le froid, la vermine, les permissions peu nombreuses et souvent retardées, l’état lamentable des cantonnements de repos, le contact permanent avec le sang et la mort, sont autant de raisons qui poussent les soldats à la rébellion. Ces mouvements de révolte interviennent aussi en réaction aux échecs militaires et contre les erreurs du commandement. Ainsi, les mutineries qui affectent l’armée française aux mois de mai et de juin 1917, sont le résultat de l’insuccès des offensives menées par le général Nivelle lors de la bataille du Chemin des Dames. Enfin, la lassitude gagne les soldats qui voient la guerre se prolonger alors que les officiers leur avaient fait la promesse que le conflit serait court.

Par ailleurs, les historiens s’accordent pour donner une explication apolitique des mutineries. Ces dernières seraient davantage la démonstration d’un sentiment de détresse extrêmement profond plus que l’expression d’une adhésion à un discours révolutionnaire.

De nombreuses formes d’insubordination.

Dès lors apparaissent plusieurs formes de désobéissance. Le refus de monter au front est l’acte  de  rébellion le plus observé durant la Grande Guerre2. Les soldats, de façon individuelle ou collective, font ainsi preuve d’insubordination en ne répondant pas aux ordres de l’officier chargé de lancer l’assaut. De cette manière ils expriment leur refus de participer à des attaques qu’ils jugent coûteuses en vies humaines et dont ils savent pertinemment qu’elles sont vouées à l’échec. A titre d’exemple, le 24 mai 1915, 27 hommes du 56e Régiment d’Infanterie sont condamnés pour avoir refusé de participer à une attaque3. Ces cas d’indiscipline ont été nombreux pendant les quatre années de guerre.

Les mutilations volontaires représentent une autre forme de désobéissance. Des soldats s’infligent des blessures avec leurs armes, essentiellement aux mains ou aux pieds, dans le but de se soustraire aux combats. La plupart de ces cas sont recensés au début du conflit car par la suite, les médecins militaires informés de l’existence de ces pratiques, parvenaient à détecter la cause de la blessure notamment par les traces de poudre subsistant autour du point d’entrée de la balle ce qui les amenaient à en déduire que le tir avait été réalisé à bout portant.

Dans le but de préserver leur santé physique et mentale, pour revoir leur famille dont ils n’ont plus de nouvelles et surtout par peur, des soldats se rendent coupables d’insubordination en abandonnant leur poste et en désertant. Ce phénomène est encore mal connu et nous ne pouvons que reprendre les chiffres de l’armée française qui estime qu’environ 15 000 soldats auraient déserté ses rangs chaque année4. La désertion fait état de plusieurs degrés de gravité qui diffèrent si elle a lieu à l’intérieur ou au front, en présence ou non de l’ennemi, et de sa durée puisque c’est au-delà de trois jours d’absence illégale qu’un soldat est considéré comme déserteur.

Plus spontané et marginal, le phénomène des fraternisations représente également un acte de désobéissance. Cette forme de mutinerie, éphémère et cachée, apparaît dès les mois de novembre et de décembre 1914. On en trouve quelques exemples grâce aux témoignages des « poilus » qui sont parvenus jusqu’à nous comme ceux des soldats Louis Barthas et Henri Désagneaux. Ces témoignages confirment l’existence de brefs instants de fraternité entre les combattants français et allemands qui s’échangeaient, outre une poignée de mains, toutes sortes de choses tels que du tabac, du pain ou des journaux5.

Enfin, conséquence du rejet de la pression disciplinaire, certains soldats deviennent mutins en affirmant haut et fort leurs opinions sur la guerre allant même jusqu’à injurier leurs officiers. Ainsi, le 29 juin 1917, un soldat du 101e Régiment d’Infanterie Territoriale est arrêté pour avoir dit à voix haute : « A bas les gradés ! ». Un autre connaît le même sort pour avoir traité de « vaches » des gradés qu’il menace en criant : « Pour qui est-ce qu’on se bat… je me fiche d’être français ». De nombreux autres incidents individuels de ce type ont eu lieu durant les quatre années de guerre. Parfois ces situations dégénèrent laissant place à une brutalité incontrôlée témoignant des effets destructeurs de la violence de la guerre sur la santé psychologique des soldats. Ainsi, un soldat du 225e Régiment d’infanterie, irrité, cède et abat de manière impulsive son supérieur en se justifiant : « Je l’ai fait exprès, il m’emmerdait depuis ce matin… »6.  Ces débordements sont essentiellement la conséquence d’un épuisement psychologique des soldats. Rappelons qu’il ne s’agit pas d’une guerre de professionnels. Ce sont des civils que l’on a habillés en soldat qui se battent, et ils sont de facto plus disposés à lâcher prise moralement et à contester les ordres des officiers.

  1. LOEZ André, 14-18. Les refus de la guerre, une histoire des mutins, aux Éditions Gallimard, Paris, 2010.
  2. ROLLAND Denis, La grève des tranchées, les mutineries de 1917, aux Éditions Imago, Paris, 2005.
  3. Rolland Denis, La grève des tranchées. Les mutineries de 1917, aux Éditions Imago, Paris, 2005.
  4. CRONIER Emmanuel, « Les déserteurs à Paris pendant la première guerre mondiale », dans Clandestinités urbaines, les citadins et les territoires du secret (XVIe – XXe), Presses universitaires de Rennes,  La guerre des tranchées : fraternisations et accords tacites, textes réunis par Yann PROUILLET,
  5. OFFENSTADT Nicolas, Les fusillés de la Grande Guerre et la mémoire collective (1914-2009), aux Éditions Odile Jocob, Paris, 2009.

Leduc Jean-Benoît
Commémoration du centenaire de la guerre de 1914-1918 par la Bibliothèque Clermont université

 

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