Comment l’extrême droite s’impose dans les usines allemandes


Le rédacteur en chef du « Compact », Jürgen Elsässer (à droite), accompagné du chef politique de l’AfD, Andre Poggenburg, de Saxe-Anhalt, souhaite créer un réseau de la scène de droite et promouvoir un syndicat de droite.

« L’accord salarial est un événement clef vers un monde du travail moderne. » Le 6 février dernier, Jörg Hofmann, le président d’IG Metall, a de quoi être fier. Le puissant syndicat a de nouveau marqué l’histoire des relations sociales en Allemagne en obtenant une hausse de salaire de 4,3 % et, surtout, la possibilité pour les 3,9 millions d’employés de la métallurgie de  réduire leur temps de travail jusqu’à 28 heures par semaine pendant deux ans .

ENQUÊTE Proche du parti Alternative für Deutschland ou pas, les mouvements d’extrême droite prennent pied parmi les ouvriers allemands. Une menace prise de plus en plus au sérieux par le puissant syndicat IG Metall.

Cela faisait des années qu’il n’avait pas marqué autant de points face au patronat. Des années aussi que les grèves d’avertissement, suivies par 1,5 million d’employés en Allemagne, n’avaient autant mobilisé.

Mais, après une nuit de négociation marathon,  Jörg Hofmann n’a pas seulement en tête le sort des employés de Daimler, Siemens ou Bosch. Il a les yeux rivés vers les élections de comités d’entreprise, qui débutent ce jeudi en Allemagne.

Jorg Hofmann, le patron d’IG Metall, a les yeux rivés vers les élections de comités d’entreprise, qui débutent ce jeudi en Allemagne. – SIPA

Le plus grand syndicat du monde est, en effet, confronté à la concurrence bruyante d’une alliance d’extrême droite. Chez Daimler, qui donne le coup d’envoi d’un scrutin étalé sur trois mois, le syndicat Zentrum Automobil (ZA) présente plusieurs candidats. Il est déjà présent depuis 2010 au comité d’entreprise de l’usine d’Untertürkheim du géant automobile, mais n’avait pas fait de vagues jusqu’ici.

Nouvelles ambitions de l’AfD

Après le  triomphe du parti populiste Alternative pour l’Allemagne (AfD) , qui a obtenu 12,6 % des voix élections de septembre sur fond de crise des réfugiés, le leader de ZA, Oliver Hilburger, a cependant de nouvelles ambitions.

Notre campagne est une attaque en règle contre le monopole des grands syndicats

« Mes amis, maintenant que l’AfD siège dans presque tous les parlements [fédéral et régionaux, ndlr], nous allons bientôt, nous aussi, nous installer dans beaucoup de comités d’entreprise, a-t-il déclaré en février à Dresde lors d’une manifestation du mouvement anti-islam Pegida. Notre campagne est une attaque en règle contre le monopole des grands syndicats », a-t-il ajouté devant une foule scandant « résistance ».

Avec la plate-forme « Un pour cent », gérée par un groupuscule d’extrême droite, son mouvement invite les employés du pays à se présenter aux élections de comités d’entreprise. « Le syndicat patriotique », comme il se présente, leur offre toute forme de soutien.

L’alliance présente des listes dans quatre sites de Daimler, mais aussi chez Opel à Rüsselsheim ou BMW à Leipzig. Au total, elle revendique 500 candidats sur tout le territoire. Une quantité certes négligeable comparée aux 180.000 candidats qui se présentent aux élections, mais assez pour faire trembler l’IG Metall et le patronat. Et changer le climat social outre-Rhin.

IG Metall tiraillé

« Nous observons ce développement avec inquiétude, a reconnu le patron de Daimler, Dieter Zetsche. J’appelle les salariés à se mobiliser pour cette élection. » C’est le seul chef d’entreprise qui s’est exprimé sur le sujet. De son côté, IG Metall parle d’un « épiphénomène » qu’il « observe attentivement ».

Le CE se dissocie strictement de toutes les idéologies d’extrême droite et néonazies et des activités de certains membres qui en relèvent

En réalité, l’organisation de 2,3 millions de membres est très mal à l’aise, tiraillée entre une réaction claire et la volonté de ne pas faire de publicité à un concurrent qui reste, pour le moment, marginal. Face à la pression médiatique, le comité d’entreprise de l’usine Daimler de Stuttgart-Untertürkheim, l’usine historique du groupe, vient toutefois de sortir de son silence.

Dans une déclaration de quatre pages, le CE, dominé par IG Metall, « se dissocie strictement de toutes les idéologies d’extrême droite et néonazies et des activités de certains membres qui en relèvent ». De fait, les candidats de Zentrum Automobil ont au moins un passé sulfureux.

Oliver Hilburger était en effet membre de l’ancien groupe de rock néonazi Noie Werte, dont une chanson décrit le bras droit d’Hitler, Rudolf Hess, comme un « grand héros » et qui a inspiré le groupuscule terroriste NSU, à l’origine de l’assassinat de neuf immigrés turcs et grecs entre 2000 et 2011. Parmi ses acolytes, plusieurs ont côtoyé des milieux skinheads.

Candidats antimondialisation

Assez pour effrayer les salariés des chaînes de production ? Oui, mais a priori pas tous. Lors des élections législatives, 19 % des travailleurs et 15 % des membres de syndicats ont voté pour l’AfD, selon une enquête d’opinion pour la Confédération syndicale DGB. A l’Est, ce sont même 22 % des encartés qui ont choisi le parti nationaliste.

Il n’y aura pas beaucoup de listes alternatives, mais dans celles où ils se présentent, ses candidats sont redoutables

« Dans cette région, contrairement à l’Ouest, l’AfD a une ligne très sociale et se présente comme un parti de gauche », constate Melanie Amann, journaliste au magazine « Der Spiegel » et auteur d’un livre sur le parti populiste. Elle se demande toutefois si les médias n’exagèrent pas l’importance du « syndicat alternatif ».

Ce n’est pas le cas de Klaus Dörre, professeur de sociologie à l’université d’Iéna, qui a mené une étude de terrain sur les mouvements de travailleurs de droite. « Il n’y aura pas beaucoup de listes alternatives, mais dans celles où ils se présentent, ses candidats sont redoutables, dit-il. Ils sont combatifs et antimondialisation et font attention à ne pas s’illustrer par des propos racistes. » Mais s’ils se présentent comme les nouveaux combattants de la lutte des classes, ils veulent essentiellement agir au service d’une « communauté nationale », juge le chercheur.

A Dresde, on pourrait effectivement prendre Oliver Hilburger pour un révolutionnaire gauchiste. « Les patrons des grandes multinationales se moquent de vous, car ils bougent les travailleurs sur leur globe comme les pions d’un jeu d’échecs, lance à la tribune cet homme barbu de quarante-sept ans, qui compare son mouvement au syndicat polonais Solidarnosc, qui a fait tomber la dictature communiste. Les syndicats établis disent qu’ils se battent pour vous. En vérité, l’IG Metall, le DGB et [le syndicat des services] Verdi sont un pilier important de ce mouvement global. Pour nous, ils font partie du problème et non pas de la solution. »

A suivre